Travailler son endurance créative & aller au bout de son projet (2/2)
# 61 - ... avec 3 techniques pour devenir un·e marathonien·ne de l'écriture
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 61 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
Avant-propos : Cette exploration sur l’endurance créative est scindée en deux parties :
"Le Shiny Idea Syndrome" : quand on est tout le temps happé par de nouvelles idées (1/2)
Travailler son endurance créative & aller au bout de son projet sans s’épuiser (2/2)
En un coup d’oeil :
Pourquoi on perd de l’énergie en plein projet ?
Stratégies pour garder de l’énergie et finir son projet
La boîte à inspirations et recommandations
Pour être scénariste, il nous faut plein de compétences diverses et variées.
Savoir gérer nos doutes internes. Savoir gérer la critique externe. Savoir se “vendre”. Savoir pitcher. Savoir négocier1. Savoir gérer l’attente. Savoir défendre ses bifteck - bifteck artistique et bifteck droit du travail. Oh ; et aussi savoir écrire une histoire.
Toutes ces compétences s’articulent autour d’une seule capacité essentielle :
Un scénariste doit savoir développer & gérer son endurance créative.
Comme on l’a vu dans le numéro précédent, au départ les idées fusent et l’envie est forte. Notre cerveau adore cette phase : il carbure aux shots de dopamine, porté par l’illusion que tout va s’écrire tout seul.
Mais après cette euphorie, vient la réalité : entre le moment où un projet est signé et où il part en production, il se déroule en moyenne plus de 24 mois de réécriture.
Le doute et la lassitude ont le temps de s’infiltrer : les versions et les réécritures s’accumulent, une certaine lassitude s’installe, les producteur·ices changent d’avis et reviennent sur des points qui changent tout, et l’énergie baisse.
Ce qui est chimiquement normal : notre cerveau d’homo sapiens n’est pas fait pour ça. Il est fait pour “voir le bout” des choses. Une action = une conséquence.
Si on prend une hache et qu’on tape sur un tronc, le tronc se fend. Ou bien vous vous prenez la hache sur le pied car vous n’avez aucune force. Mais qu’importe : dans les deux cas, il y a une conséquence à votre action. Et ça, le cerveau aime.
Réécrire sa septième version sur les 10 derniers mois, sans voir de résultat tangible, c’est comme taper dans le vide. Le cerveau n’aime pas.
Travailler pendant des mois sans voir de résultats tangibles, c’est contre-intuitif pour notre système de récompense interne.
C’est comme ça. On a besoin de voir les conséquences de nos actions. Et comme ces conséquences sont rares dans nos métiers, on fait des burn-out.
Perso, le plus long que j’ai fait c’est 4,5 ans. 1642 jours. Et quand ENFIN je suis arrivée au bout de mes peines, que la VDEF était là et qu’on allait pouvoir chercher une réalisatrice, il y a eu une épidémie mondiale et on a appris qu’un film sur le même thème était en train d’être financé en France. Game over. Ce projet a donc tout simplement disparu en un coup de test COVID dans le pif. Le cerveau n’a pas aimé.
La bonne nouvelle de cette introduction déprimante, c’est que l’endurance créative, ça se travaille. Du moins, il existe des petites stratégies pour préserver son énergie et aller au bout de ses projets.
Stratégies pour maintenir son énergie et finir son projet
Je vous ai demandé sur les réseaux qu’est-ce qui faisait que vous perdiez de l’énergie au fil de vos projets, et voici vos résultats :
Je doute de sa qualité (48%)
Je me sens seul·e (25%)
Je me lasse vite (14%)
Je suis bloqué·e (13%)
Voici trois stratégies pour marathonner le marathon de l’écriture :
1. Trouver un équilibre entre effort et récupération
Tout·e sportif·ve le sait : une bonne récupération est essentielle à une bonne performance.
Et c’est pas parce que nous notre biscotto principal est dans notre cerveau qu’il ne faut pas le traiter comme le ferait un sportif.
Travailler en continu sans pause “intelligente” (= qui permet de récupérer) épuise la motivation, la créativité, et est contre-productif. Le cerveau a besoin de pauses.
On en avait déjà parlé ici :
À l’inverse, travailler en longues sessions épuisantes suivies de jours sans rien écrire crée un faux rythme qui (peut) générer un cercle vicieux d’angoisse :
L’énergie créative doit être gérée comme une petite planète qui mérite respect, c’est-à-dire comme une ressource durable, et non comme un ressource à surexploiter.
Nos métiers ne sont pas faits de sorte que l’on puisse “travailler” 8h par jour comme d’autres. Aucun métier d’ailleurs. La journée de 8h est une invention des derniers siècles pour servir le monde industriel et capitaliste. Notre cerveau n’est pas une invention des dernières siècles fait pour servir le monde industriel et capitaliste.
L’idée est d’être serein·e et efficace dans les 3-4h de création journalières possibles.
Pour cela, quelques idées :
♾️ La méthode des cycles courts : par exemple, des sessions de 45 minutes d’écriture + 10 minutes de pause permet d’écrire 3h/jour sans s’épuiser.
🌀 Varier les tâches pour éviter la lassitude : alterner brainstorming, structuration, travail précis sur un personnage, écriture (et là encore, vous pouvez varier votre écriture, entre l’écriture par séquence, par scène, en bullet point, avec votre chat qui rajoute “qqqqqqqqqqq” de temps en temps), et relecture de son projet.
🛑 Intégrer dans notre marathon des pauses stratégiques (quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles) : lire, regarder un film lié au projet, marcher, aller nager, changer d’environnement. Recharger le cerveau.
2. Structurer son avancée : transformer son projet en étapes claires
Un projet qui s’étend sur la durée peut devenir une masse informe et écrasante, ce qui démotive. L’incertitude sur "où on en est" et ”qu’est-ce que ça vaut” fatigue autant que l’écriture elle-même.
Pour retrouver une sensation de maîtrise, la clé est de fractionner son projet en petites étapes atteignables.
Cela permet de donner à notre cerveau des petits shots de dopamine chaque fois que l’on atteint un palier, d’avoir le sentiment d’avancer et de s’imaginer dans une sorte de course d’orientation où on pourrait tamponner sa carte à chaque borne trouvée.
🎯 Définir des jalons clairs : "Ce mois-ci, je boucle cette partie", “Cette semaine je fais l’outline", la semaine suivante je vérifie que le chemin interne de mon perso et les péripéties se répondent bien grâce au livre de cette bonne vieille Pauline, et les deux semaines qui suivent j’écris les 8 séquences, 4 par semaine, j’ai même un jour de rab pour m’aérer, easy peasy. Vraiment quel super bouquin d’écriture, j’ai hâte qu’il sorte tout début janvier 2026 pour que tout le monde puisse en profiter”.
✅ Créer une barre de progression visible : tableau, check-list papier, petit trait que vous faite dans le mur tel un prisonnier.
🍪 Célébrer chaque palier atteint : se donner une récompense après chaque avancée (un café spécial, une sortie, une pause bien méritée au soleil, sauf si vous êtes à Paris, dans ce cas la pause se fera sous la grisaille, et il ne tient qu’à nous de trouver le soleil dans nos coeurs pour ne pas dépérir).
3. Ne pas avancer seul : obtenir des retours pour rester motivé
Enfin, l’isolement peut transformer un projet en tunnel sans fin sans aucun canari qui nous aiderait à l’aide de ses petits “piou-piou” à nous rappeler qu’il y a de la vie sur terre.
Mais ce tunnel n’a pas à rester un cauchemar de claustrophobie : on peut y creuser une ouverture.
(je parle bien d’un tunnel d’écriture et non d’un vrai tunnel) (ne faites surtout pas une ouverture dans un tunnel sous terre au risque de MOURIR) (et n’allez surtout pas dans un tunnel sous terre en premier lieu) (oui je suis claustro).
Un (bon) regard extérieur aide à réévaluer et à relancer la motivation. L’autre avantage d’avoir un canari sur votre épaule, c’est qu’il s’en fiche de vos états d’âme. Il veut lire votre prochaine version à la date que vous lui avez promise. Rien de tel qu’une bonne petite pression respectueuse et cordiale pour mettre un pied devant l’autre.
N’hésitez pas à vous rapprocher d’associations d’auteur·ices ou de scénaristes, à vous trouver un binôme créatif avec qui vous pouvez échanger régulièrement, ou bien à rejoindre le Forum des Auteurs sur Discord.
Sinon, pour les abonné·es payant·es de tchik tchak, j’ai lancé un petit coin exclusif pour papoter & partager, et puis il y aura sûrement d’autres exclus plus tard ! Vous pouvez le rejoindre ici.
Dans tous les cas, même s’il vous est compliqué de vous rapprocher d’un autre être humain, vous pouvez être votre propre “premier spectateur”.
La meilleure technique pour recréer ce regard extérieur “neutre” est de laisser votre projet maturer pendant une semaine-dix jours ; ce que vous ressentirez en le relisant sera ce que ressentira un autre être humain (à peu près, du moins).
On en parlait ici :
L’endurance créative, ce n’est pas juste persévérer tête la première. C’est savoir quand pousser, quand respirer, et quand passer à autre chose.
Ça fait partie de la vie de scénariste. Et de la vie de Frank Ribéry aussi, qui espère que “la routourne va tourner”.
Nous aussi Franck, nous aussi.
✌🏼
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
🗞️ La prospective, qu’est-ce que c’est ? C’est la question que je me suis posée pour cette nouvelle série d’article pour la Revue de la Cité, et franchement, c’est PASSIONNANT. Notre capacité d’imagination peut permettre d’anticiper et de construire des futurs, tel un super pouvoir, ce qui fait de nous des super héros et héroïnes. Bref, c’est COOL.
💌 Allez lire cet article de
qui mène l’enquête sur “comment Ayn Rand, une immigrée russe née en 1905 devenue scénariste à Hollywood, est devenue l’une des maîtresses à penser des tech-bros actuels”. C’est passionnant et c’est émaillé de punchlines, comme à l’habitude de Marion :Et vous savez ce que ces destructeurs de monde ont en commun ?
Une femme. Oui, et même une femme à laquelle ils n’ont ni fait 27 bébés aux noms imprononçables ni fait subir d’agression sexuelles. Oui, une femme qu’ils “respectent”.
La partie 2 sort demain donc abonnez-vous pour la recevoir !
🕰 En ce jour il y a 4 ans, le 22 février 2021, les Daft Punk annoncent la fin de leur duo, ils sont arrivés en fin de parcours. 28 ans de carrière, belle endurance créative.
💬 La citation de la semaine :
“Écrire un roman, c'est comme courir un marathon en équilibre sur une corde raide tout en portant un éléphant sur le dos.” - Haruki Murakami
Remise en lumière de la semaine
Dans le prochain tchik tchak…
Explication (car le nombre de caractères est limité dans le sondage) :
🫂 d’une technique pour être sûr de comprendre son personnage à 360° lors de scènes clefs (je pique et j’adapte une technique de design thinking)
⏱️ s’éloigner du fameux time lock “il reste 24h avant l’explosion” et intégrer un compte à rebours non explicite (et subtil) qui pèse tout aussi fort sur le spectateur
À la semaine prochaine !
Pauline
Et oui, même si on a un·e agent·e, il vaut mieux savoir de quoi on parle et ce qui acceptable ou non.
Mes commentaires se suivent et se ressemblent mais tant pis, Pauline ta newsletter est comme toujours une perle!
Je ne suis pas scénariste mais romancière, et de ce que tu décris, l’ascenseur émotionnel du métier de scénariste est vraiment vertigineux.
Il en faut des nerfs pour tenir jusqu’au bout, merci pour ces techniques super utiles.
Pour l’anecdote, quand j’ai écris mon premier roman il y a 15 ans, j’étais consultante en fiscalité pour une law firm (zéro vie sociale, week-ends passés à La Défense, mépris sans fin de tes boss, le combo habituel). Et un jour, un dimanche matin plus exactement, j’ai décidé d’écrire un roman.
Je me suis dit « si je meurs demain, au moins j’aurais fait ça ». Parce que pour le reste, je ne faisais que produire des rapports et des tableaux de chiffres qui avaient une durée de vie limitée et que j’avais une impression de vacuité phénoménale.
Ça a l’air un peu mélodramatique dis comme cela, mais ça ne l’était pas du tout. Cette révélation a été au contraire un moteur ultra puissant.
Et j’ai donc écrit mon roman policier.
Ça m’a pris deux ans, mais je m’étais juré de le terminer, et je sais que c’est grâce à cela que j’ai tenu encore 2 ans dans cette vie que je détestais.
Cette anecdote n’est pas uniquement là pour parler de moi (même si bien sûr j’adore ça) mais pour dire que dans certains cas, la pression de terminer peut être une formidable source d’énergie et de transformation.
Sur le moment j’étais tellement heureuse de l’avoir fait ! Et c’est quelque chose qui m’a porté des années plus tard vers un changement de vie radical et bien plus en ligne avec moi même 😀
Bonus : si il y a 15 ans mon roman a été rejeté par toutes les maisons d’édition, quand je l’ai auto publié 13 ans plus tard, j’en ai vendu assez pour payer mon loyer pendant un an. Et je le vends encore.
Ça c’était la divine surprise (avec retard) j’ai drôlement bien fait d’aller jusqu’au bout au final.
Amis auteurs, scénaristes etc. accrochez-vous, cela en vaut mille fois la peine !
Morceler l'écriture de mon roman en petites étapes est certainement ce qui a permis à mon cerveau de TDAH de tenir le coup jusqu'ici (et ce que je n'avais pas fait sur les projets précédents). Par contre, j'en suis actuellement au stade où je dois tout casser (mon chapitrage) pour tout reconstruire, parce que la première mouture ne fonctionne pas comme je le voudrais. Et j'avoue que je me sens un poil démunie sur ce coup. ^^