Naviguer les 4 étapes du processus créatif
# 6 - ... ou comment appréhender chaque phase avec sérénité
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 6 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires, des articles ou des scénarios.
Allez c’est parti 👇🏼
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En un coup d’oeil :
Les 4 étapes du processus créatif & comment les appréhender
Les 2 étapes bonus
La boîte à inspiration avec un papy dealer & des Japonais la tête dans les nuages
À part les personnes atteintes d’hypergraphie, on a tous remarqué que le processus créatif était cyclique, rythmé par deux saisons majeures : ça va pas & ça va super.
Autrement dit, une phase de “flow” et d’alignement créatif où la liaison cerveau-idées-doigts-mots est fluide comme un slinky, et une phase liminale, voire léthargique, où rien ne se passe et le slinky est devenu aussi rigide qu’une enclume.
L’avantage de passer des heures à regarder dans le vide ses murs et fenêtres c’est que ça donne toujours de nouvelles idées d’aménagement d’intérieur, ce qui est sympa. L’inconvénient c’est que ces phases de “blanc” n’amènent pas (du tout) la sérénité que son calme pourrait induire.
Et pourtant, cette phase d’incubation créative est nécessaire ; elle fait même partie du processus normal de création.
Décortiquons le processus créatif afin de bien naviguer chaque étape :
Les 4 étapes du processus créatif
Dans The Art of Thought (1926), l’universitaire Graham Wallas est le premier à théoriser les quatre étapes constitutives du processus créatif :
Préparation
Incubation
Illumination
Vérification
En écriture, cela pourrait donner quelque chose comme :
1 - Préparation : la phase d’inspiration et de recherche 🔍
Durant cette première phase, l’idée est de s’immerger d’informations et d’établir de nouveaux liens entre des idées qui auparavant n’avaient aucun rapport entre elles.
Dans son pamphlet A Technique for Producing Ideas, le publicitaire américain James Webb Young appelle cette phase : “Rassembler la matière première”. Une fois la matière première rassemblée (que je vois plutôt comme un gros tas de petits points mais c’est personnel), j’y rajouterais la deuxième phase, connecter les petits points entre eux.
En fiction on pourrait la résumer avec le fameux “Et si ?” : Et si ces deux éléments qui n’ont rien à voir ensemble racontaient quelque chose ? Et si ce personnage était confronté à tel un dilemme ?
👉🏻 C’est la phase où il faut être curieux comme un enfant, confiant comme un chimpanzé et obsessionnel comme un chercheur.
2 - Incubation : la phase d’absorption et d’infusion 💭
Maintenant que nous sommes lesté·es de ces nouveaux savoirs et connexions improbables, il faut laisser son cerveau digérer tranquillement… et accepter de lâcher prise.
En effet, même les chercheurs ne comprennent pas ce qui se passe dans notre cerveau à ce moment précis. Voici le bilan de l’étude de 2014 de Simon M. Ritter et Ap Dijksterhuis, Creativity—the unconscious foundations of the incubation period :
“On ne sait pas encore pourquoi l’incubation est utile, même si son effet positif est indéniable. (…) [On ne sait pas vraiment] si les effets doivent être expliqués par des processus inconscients [actifs] ou par les conséquences d'une période de distraction (par exemple, relaxation, oubli d'éléments de fixation, changement de configuration mentale) sans qu'il soit nécessaire d'assumer des processus inconscients actifs. Le plus probable serait que ce soit un mélange des deux.”
Dans cette autre étude de 2012, une esquisse de réponse pourrait être que l'errance mentale améliore la créativité en augmentant le traitement associatif inconscient.
Mais même s’ils ne comprennent pas vraiment comment cette phase d’incubation fonctionne, tous les spécialistes du sujet ont les trois mêmes recommandations, comme le résume Kühn et al. dans The importance of unconscious processes in creativity – a structural MRI study (2013):
Pour initier et optimiser cette phase d’incubation, il faut laisser ses pensées divaguer, dormir, ou bien s’atteler à une tâche peu exigeante.
Moi je trouve ça beau de faire autant d’études et de thèses pour conclure unanimement qu’on ne sait pas comment ça marche. C’est peut-être ça la sagesse.
👉🏻 C’est la phase où il faut se forcer à lâcher le bébé, faire confiance à son inconscient et en profiter pour aller marcher, lire, faire un sudoku, la vaisselle, un petit Football Manager… La vie quoi. Et sans culpabiliser.
3 - Illumination : la phase d’idéation 💡
La voilà, l’étape tant attendue ! Mais s’il s’agit bel et bien de la troisième étape, l’erreur est de penser qu’elle se place en premier. Et souvent, bien loin du moment “Euréka !” en fanfare fantasmé, l’idée apparaît timidement à des moments absurdes - mais avec évidence.
Paul McCartney raconte dans le livre de Kenneth Womack, The Beatles Encyclopedia: Everything Fab Four (2016) que la mélodie de Yesterday lui est apparu dans un rêve…. Moi j’ai débloqué un problème de personnage en nettoyant la litière de mon chat, ce qui est moins poétique, mais tout aussi libérateur (aussi bien pour mon chat que pour moi d’ailleurs).
Par ailleurs, j’apporterais une petite nuance à cette phase telle qu’elle est décrite par Graham Wallas (qui par ailleurs a co-créé la London School of Economics, petite info cadeau). Pour lui, on pourrait la résumer à “Une idée apparaît” grâce au travail mystérieux effectué par le cerveau durant la phase d’incubation. Mais je pense que même si on ne peut pas forcer une idée, il est cependant possible de la solliciter, ou du moins de faciliter sa venue.
👉🏻 On adore aller marcher dans les bois et faire un petit sudoku, mais coupler cette infusion d’esprit “passive” avec une petite routine d’écriture et une “introspection” active (à travers des questions auxquelles répondre) peut aider à solliciter la Muse.
Ps : j’en parlais dans le tchik tchak #1 et les 7 astuces pour vaincre la page blanche.
4 - Vérification : la phase d’évaluation ⚖️
Et oui, malheureusement toutes les idées fruits de l’Illumination ne sont pas forcément “bonnes” pour votre projet. Dans ce cas la phase d’illumination devient la phase Montagnes Russes et j’espère que vous aimez les sensations fortes car c’est plus ou moins l’essence même de notre métier.
Reprenons McCartney : il a passé plus d’un an à vérifier l’originalité de Yesterday et l’effet qu’elle avait sur les gens avant de se dire que ça valait le coup.
👉🏻 Vous n’avez pas besoin d’être aussi exhaustif que lui, et tout dépend du moment d’écriture où vous êtes, mais voici quelques pistes pour évaluer votre idée :
Si vous en êtes au stade “macro” de recherche de concept pour un film ou une série, vous pouvez vous référer au tchik tchak #2 pour tester l’imparabilité de votre idée.
Si vous êtes plus avancés dans l’écriture, et que vous recherchez plutôt la caractérisation de personnages, le dénouement d’une situation, la création d’une séquence nécessaire au développement de votre personnage à ce stade, etc., alors la question principale à vous poser est de savoir comment ce nouvel élément s’incarne dans le “tout” de votre récit en terme de cohérence structurelle et psychologique, rythme narratif et profondeur thématique.
Cette approche holistique peut s’illustrer par :
est-ce que la réaction de mon personnage à ce moment précis correspond à son caractère tel que je l’ai dépeint jusqu’à présent ?
est-ce que mon duo de personnages réagit bien de manière différente à chaque étape qu’il rencontre ?
est-ce que cet obstacle va :
dans le sens de mon intrigue (c’est-à-dire la fait avancer tout en la compliquant) ?
met mon personnage à l’épreuve ? (rappelez-vous de mon obsession à inventer ce qui pourrait se passer de pire pour lui)
est-ce que la caractérisation de ce personnage secondaire illustre une autre facette du thème de mon histoire ?
Si vous enchaînez les feux verts, alors banco !
À ces quatre phases conceptualisées par Graham Wallas , j’en rajouterais deux autres :
5 - Exécution : la phase de mise en vie 📝
Une fois qu’on a bien passé notre nouvelle idée au crash test et qu’elle semble répondre aux exigences narratives, il faut y aller, relever ses petites manches et se remettre devant son ordi ou son cahier. Car une idée n’existe vraiment qu’à partir du moment où elle est mise en forme.
👉🏻 Si après tant d’heures à regarder le mur vous avez une petite résistance à cet égard, je vous renvoie à nouveau vers le tchik tchak #1.
6 - Répétition : la phase où on repart à zéro 🔁
Votre nouvel élément débloque votre écriture jusqu’au prochain défi, où vous vous rendrez compte qu’en fait il ne fonctionne pas si bien - et ce n’est pas grave ! C’est la beauté de la création : on n’a jamais vraiment fini, la matière reste tout le temps mouvante, et notre approche du métier toujours croissante. Car si on dit que la motivation n’est que le fruit du mouvement, alors on pourrait dire de même de l’écriture - que ce soit d’un mouvement conscient ou inconscient.
Le mythe de l’artiste sur qui tomberait par magie toutes les bonnes idées du monde n’existe pas. Derrière chaque idée il y a des semaines, si ce n’est des mois, des années de travail, de regards dans le vague, de doutes, mais surtout de confiance dans le processus créatif. N’oubliez jamais qu’on ne voit que le résultat de tout ce processus et que rien n’est jamais facile, pour personne.
En espérant que vous ressentirez moins de pression à naviguer le processus créatif.
✌🏼
Cette semaine dans la boîte à inspiration et recommandation, nous avons :
👴🏼 un papy dealer de 75 ans arrosait son Ehpad près de Caen de cannabis et de cocaïne (pour avoir eu un projet de film avec des seniors dealers de marijuana à la campagne c’est plutôt difficile à vendre aux chaînes, mais sait-on jamais)
😯 les champions de la phase d’incubation sont au Japon : il y a quelques jours a eu lieu le 1ᵉʳ tournoi de tête dans les nuages. Le but est de fixer le ciel sans bouger, leurs rythmes cardiaques sont mesurés et toute personne qui rit, parle ou s'endort est éliminé durant les 90 minutes de la compétition. Ça a dû fuser en idées après.
📺 le documentaire en 3 parties sur l’histoire du capitalisme américain, où on apprend qu’au début du XXème siècle les millionnaires pouvaient tout simplement acheter leurs places de sénateurs.
🕰 il y a 95 ans, en 1928, débutait en ce jour la carrière de Michel Souris, autrement appelé Mickey Mouse, dans le court-métrage Steamboat Willie.
💬 la citation de la semaine :
“Instead of worrying about what you cannot control, shift your energy to what you can create.” ― Roy T. Bennett
Dans le prochain tchik tchak…
… On parlera des 7 éléments qui constitue toute Culture, et comment ils impactent vos personnages, intrigues et obstacles.
Et pour rattraper les anciens numéros c’est 👉🏻 par ici 👈🏻
À la semaine prochaine !
Pauline