Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 31 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
(Si la lecture du mail ne se passe pas bien, vous pouvez le lire dans votre navigateur)
Pour ce troisième hors-série, je vous ouvre les coulisses de mon cerveau - merci de laisser vos petites chaussures à l’entrée et d’exhiber vos plus belles chaussettes.
Je suis tombée sur cet article du journaliste Ted Gioia, qui lui-même s’inspire du physicien Feynman1, et qui liste ses “12 Problèmes Préférés” - autrement dit, les 12 problématiques qu’il rencontre le plus souvent dans son métier et qui finissent par guider ses manières “d’écrire, de faire de la recherche, de réfléchir et d’agir.”
En ce mois de juin 2024, cela va faire six ans que je suis scénariste “à temps plein” ; autant dire que j’en ai croisé des problèmes divers et variés.
Je n’aurais pas l’audace de les qualifier de ✨ Problèmes Préférés ✨, car franchement il y en a dont je me serais bien passée, mais essayer de vivre de son écriture amène tout naturellement son lot de problématiques qui, je pense, dépassent de loin mon expérience personnelle.
En préparant ce numéro j’en ai listé 22. Mais comme vous avez mieux à faire un samedi matin et que tout n’était pas non plus méga intéressant (on ne va pas se mentir) voici donc…
Mes 7 Questionnements Incessants
Avant-propos : je n’ai évidemment pas la réponse à ces problématiques. J’essaie juste de me dépatouiller avec comme je peux au fil de mes expériences.
1. Comment vivre de son écriture alors que nous sommes le maillon de la chaîne le plus précaire ?
On commence avec la réponse à 1 million qui hante mes nuits depuis six ans.
Je rajouterais même : … alors que nous sommes le maillon de la chaîne le plus précaire, et malgré le fait que sans nous il n’y a pas de chaîne pour commencer ?
Sans nous il n’y a rien à produire/publier/marketer, et donc à vendre, et pourtant nous sommes les moins bien lotis en termes de sécurité d’emploi, de confort financier et donc de bien-être mental ? Tiens tiens.
Pour rappel, il ne s’agit pas ici des élucubrations de Mamie Zinzin Parano ; ce sont les résultats d’une étude très sérieuse de Maxime Besenval, chercheur au Centre de sociologie des organisations, que vous pouvez découvrir ci-dessous :
Moi qui aime bien les choses logiques, et même chronologiques, toute cette histoire me travaille.
Ne sommes-nous pas censés vivre de notre métier, et non mourir de notre métier ?
(Là ce sont les élucubrations de Mamie Zinzin Parano)2
Mathématiquement, il n’y aurait du coup qu’une seule chose à faire : multiplier les projets mal payés pour atteindre une stabilité financière. Mais dans ce cas, comment éviter la surchauffe mentale ?
Comme les maths ne nous aident pas à résoudre cette équation, je vais vous donner mon plan d’attaque très simple, en 3 étapes :
Ne pas avoir de loyer à payer
Ne pas avoir de frais de vie
Être dans les bons petits réseaux
Ce qui se résume à vous trouver un·e partenaire de vie riche, propriétaire, qui vous entretient, et qui a une position de pouvoir dans votre milieu. Bonne chance.
2. Comment continuer à écrire et croire en ses projets de films et séries quand on sait qu’ils ne verront probablement jamais le jour ?
Ah ça.
C’est limite une question pour Jardiland : est-ce qu’à force d’arracher une pâquerette elle arrête de pousser, ou bien continue-t-elle coûte que coûte car c’est une pâquerette et elle n’a que ça à faire ?
Que faire de tous ces beaux projets et ces belles histoires qui restent dans le tiroir après avoir refusé par la douzaine de guichets3 qui ont droit de vie et de mort sur tout en France ?
Il y aurait tout un numéro à consacrer au doux mélange de fatigue créative et de perte de foi systémique. D’habitude j’aime bien trouver des solutions, mais là je suis à sec.
3. Comment rester concentré sur son propre parcours et ne pas céder aux sirènes de l’envie et de la jalousie ?
Depuis que je me suis rappelée l’histoire du fil d’Ariane, je peux couper la chique de Blaise avec beaucoup plus de panache : “Je suis mon fil d’Ariane, merci !”.
(Pour celles et ceux qui ne savent pas qui est Blaise 👇🏼)
Dans la mythologie grecque, Ariane file la métaphore parfaite du métier de scénariste. Ariane aide Thésée à accomplir sa mission dans le Labyrinthe en lui donnant un fil qu’il pourra dérouler derrière lui pour retrouver son chemin dans le Labyrinthe.
Grâce au fil d’Ariane, Thésée tue le Minotaure, s’échappe du Labyrinthe, et récolte toute la gloire. Mais une fois qu’Ariane lui a sauvé la mise, Thésée n’en a plus rien à faire d’elle et il l’abandonne sur une île où, selon certaines versions, elle meurt de chagrin.
Je laisse à votre imagination le choix de voir qui représente Thésée dans cette métaphore, mais revenons à Ariane et son fil.
Dans nos métiers si difficiles, précaires, parfois injustes, et arbitraires, il est tout naturel de succomber à des pics d’envie, voire de jalousie. Or, ces émotions ne servent à rien, si ce n’est à activer tout ce qui est mauvais en nous (ulcère, torticolis et aérophagie).
J’aime me dire que nous sommes tous dans le grand Labyrinthe de l’écriture et que nous avons toutes et tous une Ariane qui veille sur nous.
Il ne tient alors qu’à nous de suivre notre fil patiemment, en confiance, sans nous soucier des chemins que prennent les gens autour de nous ; même si leurs chemins peuvent sembler plus rapides et plus ensoleillés.
Si chacun suit son fil d’Ariane, chacun tuera le Minotaure et s’échappera du Labyrinthe. Il ne tiendra qu’à nous de ne pas se comporter comme un·e malotrue avec Ariane par la suite.
4. Comment aller à l’encontre de la “Dopamine Culture” tout en sachant que la capacité d’attention globale se réduit d’année en année ?
La “Dopamine Culture”, c’est ça :
Autrement dit, la mort à petit feu de notre capacité d’attention, et donc de notre empathie et bien-être mental.
Personnellement, les études qui montrent que les jeunes ne lisent plus et que le scroll infini change la chimie de notre cerveau au point de déclencher des dépressions m’effraient au plus haut point (vous l’avez sûrement senti dans mes derniers tchak).
Comment se battre contre cela, proposer du contenu à l’ancienne (plusieurs paragraphes avec un début, un milieu et une fin en fait), tout en prenant quand même en compte le fait que oui, les gens ont plus de mal à se concentrer et zappent beaucoup plus rapidement qu’avant ?
Comment faire vivre ses écrits (surtout en ligne) sans tomber dans le jeu du hook facile et d’une pensée pré-mâchée prête à être digérée et oubliée en un coup de chasse d’eau ?
Une réponse que j’ai trouvée se trouve dans le questionnement suivant 👇🏼
5. Comment trouver dans chaque article, histoire, évènement ou fait divers l’histoire à raconter, et la mettre en valeur du mieux possible ?
Je pense qu’une manière de réhabituer nos cerveaux à lire du contenu long est d’apporter une exigence toute particulière à révéler les histoires qui se cachent derrière les faits.
Ici je ne parle pas de mon expérience de scénariste où, s’il n’y a pas d’histoire, bah il n’y a pas d’histoire (et pas de projet, et pas de contrat, et pas d’argent, et pas de croquettes pour le chat - et pour moi).
Je parle plutôt des articles que j’écris pour la Revue de la Cité européenne des scénaristes depuis l’automne, et qui est un exercice tout nouveau pour moi.
Que ce soit en racontant les destins de femmes scénaristes à Hollywood au début du siècle, ou bien en explorant comment les scénaristes réinventent la politique, ou encore utilisent la gastronomie pour raconter une époque (à venir), j’essaie toujours de trouver l’histoire à raconter au-delà des simples faits.
Les histoires se révèlent plus ou moins facilement selon les sujets, mais c’est une exigence que j’essaie d’avoir pour plusieurs raisons :
Faciliter l’accessibilité de la lecture : je suis la première à décrocher quand les écrits sont trop théoriques et pas assez incarnés ;
Espérer un engagement et une implication plus naturels de votre part en vous forçant à être “à fond” dans l’histoire. Instruire, Divertir, Inspirer sont les trois directions de mon exigence (j’essaie en tout cas)
Faire honneur à mon sujet : révéler l’histoire derrière les faits permet de bien mettre en valeur un sujet en montrant pourquoi il mérite d’être connu.
6. Comment ne laisser rien ni personne prendre son soleil ?
Quand j’ai fait le tri dans mes questionnements, plusieurs revenaient à la même chose :
Comment ne pas laisser les déceptions nous mettre à terre ?
Comment réussir à transformer des obstacles ou échecs en boost créatif ?
Evidemment je n’ai pas de réponse fixe à cela, et je ne pense pas qu’il y ait de réponse universelle. Il y a tout juste un an, j’aurais d’ailleurs répondu quelque chose de radicalement différent que maintenant.4
Tout ce que je sais, c’est qu’il n’y a rien de pire pour une personne créative que de se laisser prendre sa créativité, sa curiosité, son énergie ; bref, ce que l’un de mes meilleurs amis appelle son soleil.
Cependant, je peux vous confier mes réflexions actuelles inspirées de ma lecture de Atomic Habits de James Clear :
Si on oublie totalement la notion d’objectif à atteindre, et que l’on se concentre uniquement sur la bonne tenue de nos systèmes, alors, mathématiquement, les déceptions et les échecs ne peuvent que se réduire - ou du moins, ils ne reposent qu’entre nos mains et non plus dans le bon-vouloir d’autres personnes.
J’en parlais un peu dans le premier hors-série : « Rien ni personne ne pourra prendre mon soleil si je me concentre uniquement sur ce que je maîtrise. »
En gros, si j’applique ce que je lis dans Atomic Habits de James Clear, écrire tous les jours serait finalement plus important pour mon bien-être et mon alignement personnel qu’être publiée/produite/diffusée.
(Bon, après on a ce problème de croquettes et le fait qu’on a besoin du bon-vouloir d’autres personnes pour avoir des croquettes, et puis également ce problème de besoin de reconnaissance, autant vous dire que je n’ai pas la réponse, c’est un questionnement après tout).
7. Comment rendre des idées abstraites les plus concrètes possible ?
Vous pouvez vous en douter, c’est une problématique que je me pose tout particulièrement depuis septembre dernier, et le début de cette newsletter.
Pour comprendre d’où je pars, sachez que je n’ai pas fait d’école de scénario. Je me suis formée directement à travers l’analyse de scénario, et en “auto-didacte” en lisant les livres de référence que sont ceux de John Truby et Robert McKee.
Et honnêtement, je ne captais rien.
Je ne remets pas la faute sur John et Bob, il y a des choses que j’ai mis bien longtemps à comprendre dans ma vie (comme le fait que les gens n’étaient pas en noir et blanc et que pouf, d’un coup le monde est devenu en couleur, ou encore que Catherine Deneuve et Françoise Dorléac étaient soeurs dans la vraie vie).
Mais pour mon cerveau pratico-pratique, il me manquait une étape :
Ok… Mais concrètement, comment on fait ?
Avance rapide : je roule ma bosse, j’écris plein de projets de formats différents, à des stades différents, avec des gens différents, sur des sujets différents ; bref, je mets les mains dans le cambouis jusqu’aux oreilles, et je commence à mettre en place des petits systèmes pour moins galérer (et stresser) dans mon écriture.
Je suis convaincue qu’avec les bons outils tout le monde peut dompter l’abstrait et mettre en place des idées.
C’est d’ailleurs l’un des objectifs de cette newsletter : essayer de créer des outils pour de la non-matière. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est rigolo (en tout cas pour moi, j’espère que pour vous aussi).
Si vous avez des réponses à mes Questionnements Incessants, ou si vous en avez aussi qui vous travaillent, n’hésitez pas à en parler dans les commentaires, comme ça on fait une grande session psy collective ✌🏼
Dans le prochain tchik tchak…
… on parlera de quelque chose de super chouette bien sûr.
Et pour rattraper les anciens numéros c’est 👉🏻 par ici 👈🏻
À dans deux semaines, je fais ma petite pause habituelle post-hors-série-en-gros-tous-les-10-numéros-car-j’ai-plus-de-jus !
Pauline
Les 12 problèmes préférés de Feynman le physicien :
Comment puis-je suivre le temps avec précision dans ma tête ?
Comment mesurer la probabilité qu'un morceau d'uranium explose trop tôt ?
Comment concevoir un système informatique à grande échelle en utilisant uniquement du matériel de base ?
Comment puis-je écrire une phrase en écriture chinoise manuscrite parfaite ?
Quel est le principe unificateur qui sous-tend la lumière, la radio, le magnétisme et l'électricité ?
Comment puis-je maintenir une polyrythmie à deux mains sur une batterie ?
Quelles sont les méthodes les plus efficaces pour enseigner les concepts d'introduction à la physique ?
Quelle est la plus petite machine fonctionnelle que l'on puisse construire ?
Comment puis-je calculer l'émission de lumière d'un atome excité ?
Quelle est la cause première de la catastrophe de la navette spatiale Challenger ?
Comment les découvertes de la physique nucléaire pourraient-elles être utilisées pour promouvoir la paix au lieu de la guerre ?
Comment puis-je continuer à faire de la recherche importante avec toute la gloire apportée par le prix Nobel ?
C’est autre chose que mes petits questionnements.
Même si d’après l’étude, 40% des scénaristes consultés ont été victimes d’épuisement professionnel et 50% vivent des périodes d’anxiété chronique…….
Chiffre approximatif, c’est peut-être plus, peut-être moins, en tout cas c’est un chiffre rapidement atteint.
« 41 % des scénaristes affirment avoir déjà vécu des situations de harcèlement moral » selon l’étude de Maxime Besenval, ah oui c’est beaucoup de gens ça.
TU VAS Y ARRIVER! (Assez d'accord avec Paul. Un temps pour l'écriture, un temps pour la gestion du projet! Cerveau droit. Cerveau gauche. Et ces deux temps doivent être clairement séparés. Sinon le cerveau critique est toujours présent quand on écrit... Bonne chance pour la suite. En tous les cas, je me régale avec la lecture de tes Newsletters. Ça pourrait être un super livre. Très pratique, ludique, imagé.
C’est possible de vivre de son écriture mais il faut prendre le sujet comme un entrepreneur et non comme un écrivain