Les routines les plus étonnantes des grands artistes
# 26 - ... ou comment chacun essaie de s'en sortir comme il peut
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 26 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
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En un coup d’oeil :
Le plaisir de se plonger dans les routines des autres
Les routines les plus étonnantes
La boîte à inspiration avec des mondes dystopiques et des scénaristes non rémunéré·es
Avant-propos : il n’est pas au courant, mais ce numéro a été écrit en collaboration avec Mason Currey et ses livres Daily Rituals: How Great Minds Make Time, Find Inspiration, and Get to Work et Daily Rituals Women at Work: How Great Women Make Time, Find Inspiration, and Get to Work.
Récemment, je me suis plongée dans les deux livres de Mason Currey par curiosité, peut-être dans l’espoir de trouver de nouvelles idées, de découvrir des tendances générales en terme de routine, et voir ce que des siècles de création artistique cachent derrière leurs grands chapeaux (et aussi sûrement pour me rassurer sur le fait que je n’arrive à écrire que le matin).
S’il y a bien une conclusion émanant de l’analyse de tous ces gros cerveaux, c’est que la routine est nécessaire à la création artistique, ce que l’auteur résume ainsi :
“Une routine solide favorise le bon fonctionnement des énergies mentales et permet d'éviter la tyrannie des humeurs.”
Tout le monde tente de trouver une structure, ça dure le temps que ça dure, elle évolue au fil du temps, mais se fixer une routine permet de s’enlever beaucoup de friction :
“Une routine, ce petit mécanisme bien calibré, permet de tirer parti de toute une série de ressources limitées : le temps, la discipline, la volonté et l’optimisme.”
Ou comme disait le psychologue et philosophe William James :
“Une routine revient à mettre notre vie en pilote automatique et à libérer notre esprit pour qu'il s'oriente vers des champs d'action vraiment intéressants.”
Ce graphique résume les grandes tendances des auteur·ices cité·es dans le premier livre - majoritairement des hommes, ce que Mason Currey rétablit en consacrant son deuxième opus aux femmes autrices et artistes :
Au fil de la lecture de ces deux livres, je suis tombée sur nombre d’anecdotes qui ont réveillé mon envie de jouer à “Routine, Toc ou les deux ?”. Best-of :
Les routines les plus étonnantes
Caféine & Diabète
Pour se mettre dans le bon état d’esprit et rendre l’écriture agréable, la romancière américaine Patricia Highsmith (1921-1995) travaillait de son lit et s’entourait d’autant de plaisirs que possible : cigarettes, cendrier, allumettes, son mug de café, un donut et un pot de sucre.
Le théologien Søren Kierkegaard (1813-1855) remplissait sa cafetière (vide) de sucre, si bien que le monticule de sucre dépassait du bord, puis il versait le café (très fort) dessus afin qu’il dissolve doucement la montagne de sucre, et à peine dissoute, il buvait son sucre au café.
David Lynch (1946-) a aussi eu une période de shoot au sucre :
“Pendant sept ans, j'ai mangé chez Bob's Big Boy. J'y allais à 14h30 (…) je buvais un milk-shake au chocolat, et quatre, cinq, six, sept tasses de café - avec beaucoup de sucre. Et il y a beaucoup de sucre dans ce milk-shake au chocolat. (…) Tout ce sucre me donnait un coup de fouet, et j'avais tellement d'idées ! (…) J'ai eu beaucoup d'idées chez Bob.”
Marcel Proust (1871-1922) ne s’alimentait que de croissants et de café au lait (sauf quand il était invité à dîner en ville, et là il se pétait le bide aux frais de la princesse).
Honoré de Balzac (1799-1850) buvait jusqu’à 50 tasses de café par jour. Il décrit l’effet du café dans son Traité des excitants modernes (1839) :
“Le café tombe dans votre estomac, dès lors tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain de la bataille.”
Les petits rituels
Ludwig van Beethoven (1770-1827) prenait du café au petit-déjeuner, mais pas n’importe comment : 60 graines de café par tasse, pas une de plus ni une de moins, qu’il comptait une par une.
Le psychiatre Carl Jung (1875-1961) se levait à 7h00 et allait dire bonjour à ses casseroles, marmites et poêles à frire (c’était peut-être leurs séances de thérapie de groupe).
L'illustratrice new-yorkaise Maira Kalman (1949-) se réveille vers 6 heures du matin, fait son lit, et lit les nécrologies.
Le dramaturge allemand Friedrich Schiller (1759-1805) gardait un tiroir rempli de pommes pourries dans sa salle de travail ; il disait qu'il avait besoin de leur odeur de pourriture pour ressentir le besoin d'écrire.
Le scénariste Aaron Sorkin (1961-) prend une douche dès qu’il est coincé dans son écriture, tout comme le faisait la romancière britannique Hilary Mantel (1952-2022).
Le Père fondateur des États Unis Benjamin Franklin (1706-1790) prenait des "bains d'air" quotidiens, c'est-à-dire qu'il se mettait à sa fenêtre face à la nature, se mettait tout nu, et laissait la brise aérer son esprit et le reste.
Pour s’aérer, le compositeur Tchaïkovski (1840-1893) marchait deux heures par jour, tous les jours, quel que soit le temps. Son frère écrit :
"Quelque part, il avait découvert qu'un homme a besoin de deux heures de marche pour être en bonne santé. Il respectait cette règle de manière pédante et superstitieuse, comme si, s'il revenait cinq minutes plus tôt, il tomberait malade et que d'incroyables malheurs s'ensuivraient".
Le peintre américain N. C. Wyeth (1882-1945) se levait tous les jours à 5 heures du matin et coupait du bois jusqu'à 6h30. Et après les bûches, le boulot.
L’environnement c’est important
Maya Angelou (1928-2014) ne pouvait écrire que dans une chambre d’hôtel qu’elle louait tous les jours, qu’importe les villes dans lesquelles elle vivait.
Ian Flemming (1908-1964), l’auteur des James Bond, n’aimait tellement pas écrire qu’il allait s’enfermer pendant deux semaines dans un hôtel correct, mais sans plus, pour se forcer à expédier le plus d’opus qu’il pouvait.
La poétesse Gertrude Stein (1874-1946) aimait regarder les vaches pendant qu'elle écrivait. Les reporters du New Yorker décrivent le rituel dans un portrait de 1934 :
“[Mlle Stein et sa compagne Mlle Toklas] roulent dans leur Ford jusqu'à ce qu'elles arrivent à un bon endroit. Mlle Toklas [qui conduit] trouve une vache et la place dans le champ de vision de Mlle Stein. Mlle Stein sort alors de la voiture et s'assoit sur un tabouret de camping avec un crayon et un bloc-notes. Si la vache ne semble pas correspondre à l'humeur de Mlle Stein, les deux dames montent dans la voiture et se dirigent vers une autre vache.“
D’ailleurs Gertrude Stein disait :
« Il faut beaucoup de temps pour être un génie. Il faut rester assis longtemps, sans rien faire, vraiment sans rien faire ».
Et regarder les vaches donc.
Le romancier Richard Wright (1908-1960) écrivait pendant 4 heures sur un banc, toujours le même, à New York. Il s'en tenait à cette routine par tous les temps, rentrant à l'appartement à 10 heures du matin - les jours de pluie, complètement trempé. Depuis, le banc porte son nom.
Le concept “d’être dans sa bulle” poussé à l’extrême
William Faulkner (1897-1962) aimait travailler dans la bibliothèque, coupé du monde, et comme la porte de la bibliothèque n'avait pas de serrure, il enlevait la poignée et l'emportait avec lui.
Le compositeur Gustav Mahler (1860-1911) travaillait dans sa petite maison dans les bois. Il ne supportait pas grand chose, et malheur à qui le croisait avant qu’il ait terminé ses sessions quotidiennes. Sa cuisinière devait donc emprunter un chemin escarpé et glissant pour se rendre à la petite maison plutôt que prendre l'allée principale, pour ne pas risquer de le croiser.
Afin qu'aucun son ne parvienne à la cabane pendant les heures de travail de Gustav, sa femme Alma, une brillante pianiste elle-même, devait s’abstenir de jouer du piano, et aller promettre aux voisins des billets d'opéra s'ils gardaient leurs chiens enfermés.L’écrivain norvégien Knut Hamsun (1859-1952) écrivait pendant des phases de somnolence en pleine nuit :
“Une grande partie de ce que j'ai écrit l'a été la nuit, lorsque j'ai dormi quelques heures et que je me suis réveillé. Je suis alors à la fois lucide et très influençable. J'ai toujours un crayon et du papier près de mon lit, je n'utilise pas de lumière, mais je commence à écrire immédiatement dans l'obscurité si je sens que quelque chose me traverse. C'est devenu une habitude et je n'ai aucune difficulté à déchiffrer mon écriture le matin.”
L'assistant de Nikola Tesla (1856-1943) descendait les stores du bureau de l’inventeur américain de midi à minuit, et Tesla travaillait ainsi pendant 12 heures, dans le noir complet. De là est sûrement né son obsession pour l’électricité.
L’écrivain Jonathan Franzen (1959-) s'enferme dans son studio les stores tirés et les lumières éteintes, assis devant le clavier de l'ordinateur avec des bouchons d'oreille et un cache-oreilles.
Du coup ça m’intéresse
Et vous, quels sont vos petites excentricités, rituels ou TOC ?
✌🏼
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
🗞 Le deuxième épisode de ma série sur Comment les scénaristes réinventent la politique pour la Revue de la Cité est sorti !
Cette fois on plonge dans les mondes dystopiques, et on voit comment les scénaristes les utilisent pour éveiller nos consciences politiques.
😯 Cette étude de Chris Smith et Bec Evans auprès de 600 auteur·ices donne LA clef pour écrire de manière plus concentrée, efficace et indolore (indice : il y a un lien avec ce numéro)(indice qui commence par Rout- et finit par -tine).
🎧 Le podcast de Baptiste Rambaud “Et le scénario” pour la Cité européenne des scénaristes, et plus particulièrement le dernier épisode sur La Rémunération et le Scénario.
Âmes sensibles s’abstenir, car vous apprendrez que les scénaristes ne sont pas rémunéré·es pour leur travail (Alors qu’ils et elles sont à la base de tout, et que sans scénario, pas d’oeuvre, me diriez-vous ? Oui, répondrais-je, allez écouter pour comprendre l’arnaque).
🕰 En ce jour il y a 214 ans, le 27 avril 1810, Beethoven a compté ses 60 graines de café pour se mettre en jambe, s’est installé à son piano, et a composé La Lettre à Elise.
C’est également en ce jour il y a 7001 ans que l’Univers est né, en 4977 avant Jésus. C’est du moins la théorie de l’astronome allemand Johannes Kepler (1571-1630). Selon les scientifiques du XXème siècle, il s’est trompé de 13,7 milliards d’années (mais qui aurait fait mieux que lui au début du 17ème siècle hein, je vous le demande, c’est toujours facile a posteriori de se moquer).
💬 La citation de la semaine :
"Si seulement je pouvais trouver une chaise confortable, je rivaliserais avec Mozart" - Morton Feldman (compositeur)
Dans le prochain tchik tchak…
… on commencera une exploration en 4 parties sur la ✨Structure✨, avec pour commencer des astuces pour que votre “monde ordinaire” soit tout sauf pépère.
Et pour rattraper les anciens numéros c’est 👉🏻 par ici 👈🏻
À la semaine prochaine !
Pauline
Encore un très bon moment passé à te lire ! Rituels curieux et très amusants. Bon ... Plutôt que de de boire du sucre au café, je choisirais plutôt d'aller marcher deux heures. Bravo Pauline !
Peut-être bien mon tchik tchac préféré, je vais boire mon café en pensant à Gustav Malher💞