Comment écrire un bon début d'histoire
# 27 - ... et que votre "monde ordinaire" ne soit pas pépère
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 27 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
Avant-propos : Cette exploration sur les points de structure à ne pas louper est scindée en quatre parties :
Comment écrire un bon début d'histoire
Le midpoint, ça passe ou ça casse
L’ingrédient secret d’une fin réussie
(Si la lecture du mail ne se passe pas bien, vous pouvez le lire dans votre navigateur)
En un coup d’oeil :
Le piège du monde ordinaire
Trois astuces pour enlever le pépère de l’ordinaire
La boîte à inspirations avec plein de récits qui donnent de l’espoir et des idées de geeks
Avant-propos : il y a autant de propositions de structures dramatiques que d’écrivain·es, même si les plus connues sont celles en 3, 4 ou 5 actes, mais là encore il y a les méthodes de Joseph Campbell, Blake Snyder, Kurt Vonnegut, etc etc. Mais c’est comme pour les routines : l’idée est de voir celle qui vous parle le plus.
Pour cette première virée de tchik tchak dans le monde de la structure, je vais donc m’appuyer sur une de celles que j’utilise le plus pour bâtir l’intrigue, celle de Tom Vaughan. Peut-être que dans de futurs numéros on fera des expériences sur les autres structures existantes, comme ça vous pourrez voir les différences et ce qui vous convient le mieux.
Aujourd’hui on va s’intéresser à la partie verte du dessin, appelée “monde ordinaire”, ou encore “phase d’exposition”, c’est-à-dire la vie de votre personnage avant que l’élément déclencheur vienne tout chambouler.
Une erreur courante durant ces 5-10 premières pages, c’est de confondre ordinaire avec pépère, et cela pour deux raisons (enfin peut-être plus mais deux c’est déjà pas mal) :
On veut maximiser l’effet de l’élément déclencheur
Parce que nous, architectes diaboliques, nous savons qu’il va y avoir un gros chamboulement, nous avons tendance à vouloir préserver cet effet en montrant par a+b que notre personnage a atteint un statut quo, et que cet élément déclencheur va donc d’autant plus le sortir de sa zone de confort et le “remettre” en mouvement.
C’est pourquoi on a tendance à passer un peu vite sur cette phase d’exposition, en montrant un personnage passif dans son quotidien, comme si lui aussi attendait cet élément déclencheur pour que quelque chose se passe enfin dans sa vie.
Erreur. L’élément déclencheur aura tout autant d’effet, si ce n’est plus, si notre personnage est déjà en mouvement (une question d’énergie cinétique que je n’ai pas bien comprise).
On ne connaît pas encore bien son personnage et sa trajectoire quand on se lance dans l’écriture
Du coup, on ne sait pas trop ce qu’on écrit, on reste en surface et on finit par raconter des banalités.
Or, pour écrire une super phase d’exposition, il faut avoir tout l’arc de transformation de votre personnage en tête, notamment ce qui se passe à la fin de l’histoire, c’est-à-dire ce qui montre comment votre personnage a changé profondément. Et pour voir que Jojo a bien changé, et bien il faut savoir exactement d’où il part.
Le premier acte et le dernier acte de votre histoire sont intrinsèquement liés.
Personnellement, je ne commence jamais à écrire mes histoires par cette phase d’exposition.
Je commence toujours mon outline/plan/séquencier à partir de l’élément déclencheur, puis je tire le fil jusqu’à la fin de l’histoire, et, enfin, quand j’ai une meilleure vision de la trajectoire de mon personnage, je reviens écrire mon monde ordinaire pré-élément déclencheur.
C’est seulement de cette manière que je sais exactement d’où doit partir mon personnage pour que sa transformation soit palpable tout au long du récit.
“Si vous avez un problème avec le dernier acte, le vrai problème se trouve dans le premier acte.” - Billy Wilder
Et même plus précisément dans la caractérisation de votre personnage durant ce premier acte.
Voici donc trois techniques pour écrire une histoire qui part sur les chapeaux de roues 👇🏼
Enlever le pépère de l’ordinaire en 3 techniques
1️⃣ Donner un objectif à son personnage
Même si l’élément déclencheur n’est pas encore venu tout chambouler et pousser votre personnage à sortir de sa zone de confort, cette phase d’exposition du monde ordinaire doit quand même répondre aux règles de dramaturgie :
Votre personnage veut quelque chose
Qu’il a du mal à avoir
Il se passera quelque chose s’il échoue (= il y a déjà des enjeux)
Il doit déjà se passer quelque chose dans ce monde ordinaire.
Exemples :
Une joueuse de tennis ne fait pas juste son petit entraînement tranquillou 👉🏻 Elle essaie d’impressionner un recruteur qui assiste à son entraînement et qui pourrait faire décoller sa carrière
Un professeur ne donne pas son cours d’histoire tranquillou 👉🏻 Il est dérangé par une crise à gérer (dans sa propre classe, dans la classe d’un collègue, dans son foyer, etc)
Une dame ne reçoit pas juste des invités chez elle tranquillou 👉🏻 Elle doit gérer une crise : elle est prise à partie constamment car il y a deux personnes qui ne peuvent pas se pifrer, et elle doit éviter qu’ils se croisent (ce qui sous-entend un grand appartement) ou que ça dérape entre eux (ce qui sous-entend une grande capacité de diversion).
Et même si tout ce que veut votre personnage c’est être passif et qu’on lui foute la paix, c’est un désir 👉🏻 Désir qui peut être contrecarré par des réceptions incessantes de pizzas qu’il n’a pas commandées (“Je tremble dès que j’entends une mobylette”)
Ainsi, on verra d’ores et déjà comment réagit votre personnage, et quels moyens il utilise pour atteindre son objectif durant ces premières scènes, ce qui permettra de le caractériser très efficacement.
2️⃣ Caractériser son personnage en le confrontant à un choix à faire
De manière générale, ce qui différencie deux personnages entre eux, ce n’est pas leurs apparences physiques mais la manière dont ils réagissent à une même situation.
Pour caractériser efficacement notre personnage durant ces premières pages, la meilleure chose à faire est donc de le confronter à un choix.
Reprenons notre joueuse de tennis. Elle s’entraîne avec trois autres joueuses, et elle remarque que le recruteur est rivé sur son téléphone. Malheureusement c’est à son tour de taper la balle. Elle fait ses deux coups droits et deux revers longs de ligne, lève la tête, et voit qu’il ne l’a pas vue jouer. Elle cède sa place à sa camarade. Elle pense que sa chance est passée, surtout que sonne bientôt la fin du cours. Elle a cinq secondes pour décider, que faire ?
choix 1 : rien, c’est fini, c’est comme ça, c’était sûrement une partie de Candy Crush importante pour lui.
choix 2 : dès que le prof dit que le cours est fini, elle se précipite vers lui pour se présenter.
choix 3 : alors que sa camarade se prépare à taper ses balles, elle déboule sur le terrain et intercepte les balles lancées par le prof en reprise de volée au filet. La camarade râle ouvertement, le recruteur lève la tête, et voit notre joueuse taper un smash.
En une décision, notre joueuse raconte quelque chose de très différent de qui elle est.
Si ça vous rappelle quelque chose c’est que c’est la même mécanique qu’un arbre de décisions :
3️⃣ Présenter quelle vision du futur a le personnage
Enfin, comme on a montré que notre personnage veut déjà quelque chose de précis et qu’il y a pour lui des enjeux, c’est qu’il a déjà une vision de ce que va/doit être son futur - une vision erronée, mais une vision quand même.
Un outil pour aider à imprégner cette vision dans le monde ordinaire de notre personnage, c’est le trio “Home/Work/Play”, théorisé par Tom Vaughan : c’est-à-dire essayer de montrer comment votre personnage agit chez lui, au boulot et/ou pour se détendre.
Dernière incursion avec notre joueuse de tennis. Elle rentre chez elle après son entraînement, qu’importe le choix que vous lui avez fait faire précédemment. Rentre-t-elle :
choix 1 : dans un foyer clairement aisé avec des parents qui ont fait leurs carrières dans le tennis, et qui attendent beaucoup d’elle ?
Sa vision du futur est donc “Je ne dois pas décevoir / Pression de l’héritage”choix 2 : dans un foyer très modeste où elle est vue comme la pépite ?
Sa vision du futur est donc “Je vais les sortir de là, je dois être la meilleure / Pression de responsabilité”choix 3 : dans un foyer où personne ne lui accorde de l’importance et personne ne la prend au sérieux dans sa passion ?
Sa vision du futur est donc “Je vais leur montrer que ce n’est pas qu’un hobby et ils seront obligés de me prendre au sérieux / Pression d’une grande solitude”
Encore une fois, ces choix racontent des choses très différentes de ses motivations profondes, et donc de sa vision du futur dans son monde ordinaire…
… Et c’est l’élément déclencheur qui va venir chambouler et changer la vision qu’elle a du futur, mais ça on en parle dans le prochain numéro.
✌🏼
PS : Le thème de votre histoire devrait s’incarner dans ce monde ordinaire/phase d’exposition d’une manière ou d’une autre.
Par exemple, pour notre joueuse de tennis, cette scène avec le recruteur aurait encore plus de poids dans le récit si le thème de l’histoire est “Pour accomplir ses rêves il faut être prêt·e à tout”.
Pour le reste, je vous invite à vous replonger dans la mini exploration qu’on avait faite sur le thème :
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
🗞 Le troisième épisode de ma série sur Comment les scénaristes réinventent la politique pour la Revue de la Cité est disponible ! Partons à l’opposé de la dystopie et plongeons dans les mondes utopiques, et comment les scénaristes font le choix de l’espoir pour réinventer la politique.
😯 Pour les fans de science-fiction, de science et de fiction, le site Technovelgy répertorie toutes les inventions des auteur·ices de science-fiction, et leurs créations “dans la vraie vie”, faisant ainsi une sorte de Wikipédia de quand la science-fiction invente la technologie, la science et le futur.
Le site n’a aucune notion de design mais quand on s’y plonge, c’est passionnant.
🕰 En ce jour il y a 45 ans, le 4 mai 1979, arrive au pouvoir en Angleterre Margaret Thatcher, signant la fin du monde ordinaire et le début du brushing casque blond, qui demandait un entretien du coiffeur tous les trois jours quand même.
💬 La citation de la semaine :
“Au début, l'univers a été créé. Cela a mis beaucoup de gens en colère et a été largement considéré comme une mauvaise décision.” - Douglas Adams
Dans le prochain tchik tchak…
… on parlera de comment écrire un super élément déclencheur qui enclenche sec.
Et pour rattraper les anciens numéros c’est 👉🏻 par ici 👈🏻
À la semaine prochaine !
Pauline
J’adore la citation de Douglas Adams. Le guide du routard galactique était un de mes livres de chevets quand j’étais ado.
Du tennis ici 🤔🫣 j irais voir le site sur la SF c est plus mon sport ça 😇👽