Ecrire ce qu’on n’ose pas écrire (mais qu’on devrait)
# 57 - ... ou comment faire une séance de spiritisme créatif
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 57 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
En un coup d’oeil :
Histoire, es-tu prête ?
Histoire, es-tu là ?
La boîte à inspirations et recommandations
En écriture, il y a un adage qui dit : “Plus tu as peur d’un sujet et plus c’est justement sur ce sujet que tu dois écrire.”
Ce à quoi je répondrais : “Oula, doucement cow-boy, c’est une figure de haute voltige que tu nous demandes là ! Est-ce qu’il y a un SAV, un garde-fou, ou même un tatami pour amortir l’exercice ?”
Et là, l’adage me répondrait sûrement : “Non ! Débrouille-toi, reprends tout dans la tête et souffre, saltimbanque !”
Bref, je n’aime pas cet adage qui manque cruellement de mode d’emploi.
Mais il est vrai qu’écrire sur ces sujets intimes a des avantages :
Cela peut humaniser les conflits (prendre de la hauteur & apporter de la nuance à ce qu’on a vécu) (aka dépasser son passé)
Cela peut transformer la peur en moteur (au lieu de nous paralyser elle peut devenir une force créative) (aka s’approprier son présent)
Cela peut créer un lien émotionnel puissant (authenticité de votre parole = grosse caisse de résonance chez les lecteur·ices) (aka construire son futur)
Ce numéro explore comment reconnaître ces idées, les faire émerger et les transformer en matière narrative. Garantie tatami en pilou-pilou.
Histoire, es-tu prête ?
Si vous savez déjà quelles sont les histoires que vous n’osez pas écrire mais que vous devriez, vous pouvez passer à la partie suivante.
Si vous sentez qu’il y a des fantômes qui demandent à être réveillés mais qu’ils n’arrivent pas encore à s’imposer clairement, on va faire une petite séance de spiritisme créatif.
Introspection : faire émerger les fantômes
Commençons la séance en allumant des bougies et en prenant un stylo. Le but ici n’est pas d’écrire parfaitement, mais de laisser émerger ce qui se cache au fond de vous. Voici trois axes pour guider votre introspection :
les sujets que vous évitez d’aborder parce qu’ils vous semblent trop délicats, douloureux ou intimidants
les personnes que vous n’osez pas mettre en scène ou évoquer par peur de leur réaction ou par crainte de raviver des émotions enfouies
et les peurs que vous ressentez face à ces sujets (“Et si je blessais ma famille ?”, “Et si je me mettais à nu trop brutalement ?”).
On peut ensuite essayer de classer ces fantômes en 3 catégories, afin de mieux comprendre ce que vous voulez faire de ces idées et d’y voir plus clair dans votre processus créatif :
À exorciser : les idées à libérer en les laissant partir, qui doivent seulement être extériorisées pour ne plus peser sur vous. Ecrivez-les sur une feuille volante, soyez brut et sans filtre, déchirez la feuille et mettez-la à la poubelle.
(Pour plus de solennité, criez “Adieu fantôme, et bon voyage dans le parcours de recyclage des déchets français”)À laisser reposer : les idées qui sont encore trop sensibles et inaccessibles. Vous mangeriez une banane verte ? Non. Un avocat par mûr ? Il faut attendre. “Donner du temps au temps”. Faites confiance à ce qui se passe sous la peau.
À convoquer : les idées à revisiter sous un angle différent ou à travers un prisme fictionnel.
C’est de ces idées “à convoquer” dont nous allons parler maintenant.
Histoire, es-tu là ? (ou comment les transformer en matière narrative)
Une histoire c’est un thème, différents personnages, du conflit, une promesse d’évasion et une structure.
Nous allons voir comment trouver ces éléments dans ces idées.
👉🏻 Trouver l’essence narrative pour rendre l’idée universelle
Si je ne devais raconter qu’un seul aspect de cette idée, lequel serait le plus fort ou le plus important ?
Par exemple : “est-ce que je veux parler de la rupture en elle-même ou de ce qu’elle a révélé sur moi ?”
On peut aussi essayer de résumer son idée en 3 mots-clés, qui vous aideront par la suite à définir le thème de votre histoire.
Pro Tip : le premier mot-clé peut susciter une émotion négative. Il doit refléter le conflit ou la blessure centrale de l’histoire. Le deuxième peut susciter une émotion positive. Il représente l’espoir ou le désir sous-jacent qui équilibrera l’histoire. Enfin, le troisième mot-clé reflète l’enjeu ou les contradictions.
Par exemple : si l’aspect fort de l’idée est “enquêter sur l’histoire de sa famille pour comprendre ses racines”, les 3 mots-clés peuvent être Perte (émotion négative), Curiosité (émotion positive) et Vérité (enjeu). On voit que ces 3 mots soulèvent des questions comme : Qui suis-je au-delà de ce qu’on m’a dit ? Que reste-t-il de ceux qui nous ont précédés ? La vérité est-elle toujours nécessaire pour avancer ?
Si c’est “la relation toxique entre deux frères”, les 3 mots-clés peuvent être Rancune (émotion négative), Réconciliation (émotion positive) et Dépendance (contradiction). Peut-on choisir sa famille au-delà des liens de sang ? Comment se libérer de la toxicité sans perdre la connexion humaine ?
👉🏻 Explorer les points de vue opposés
Raconter son idée du point de vue du protagoniste (donc, vous) puis la réécrire du point de vue du personnage opposé, même si ce point de vue est inconfortable, et enfin la réécrire du point de vue d’un observateur extérieur (qui n’est pas impliqué dans la situation) (genre un arbitre qui regarde toutes les actions à la VAR, hop, petite idée cadeau).
👉🏻 Se concentrer sur le conflit
Trouver les tensions, contradictions et forces inhérentes à votre idée. Quelles sont les forces opposées qui s’y confrontent ?
Pour la mise en pratique, je vous renvoie directement vers :
👉🏻 Changer de cadre
Si cette idée était vue à travers un autre genre, un autre personnage, ou une époque différente, que deviendrait-elle ? Que se passerait-il si cette même situation/histoire se déroulait dans une dystopie futuriste, au Moyen Âge ou dans les années 70 ?
Ecrire de manière cryptée peut également aider : par exemple, au lieu d’écrire “Mon père”, vous pouvez écrire “L’homme au chapeau” ou “L’homme à la salopette” s’il préférait les salopettes.
👉🏻 Esquisser une petite structure narrative
L’idée est de ne pas se perdre dans la masse d’émotions & de souvenirs.
Pour cela, on peut s’aider du principe de “la scène pivot” pour esquisser une structure rapide : identifie un moment clé où tout bascule dans ton idée, où ton personnage apprend un secret ou prend une décision irréversible. Une sorte de petit midpoint.
Ensuite, résume ton idée autour de ce pivot en trois étapes simples :
Début : quel est le statu quo, le Monde Ordinaire du personnage avant l’événement ?
Milieu : quelle est la confrontation principale ou le conflit central ?
Fin : comment cela transforme le personnage ou l’idée initiale ?
Avant de vous laisser à vos fantômes, je voudrais juste ajouter un point qui me semble important.
Tout peut devenir matière d’écriture. Il suffit… d’écrire. Mais tout n’a pas à devenir matière narrative “exploitable-d’un-point-de-vue-commercial”. Tout n’a pas à être montré ou dévoilé à une autre personne que vous-même.
Ce qui est intéressant avec cet exercice d’écriture, c’est plutôt de réhabiliter son espace intime.
Reprendre le contrôle sur un récit qui nous a été imposé - et dont nous avons (potentiellement) souffert (sinon on oserait plus facilement écrire dessus).
Reconnaître que les fantômes ne sont pas nos ennemis mais des témoins de notre vécu et de notre richesse intérieure. On peut donc les inviter à notre bureau, voir ce qu’ils ont à nous apprendre, et, lorsque le moment est venu, les laisser prendre forme sur la page… ou s’évanouir.
✌🏼
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
🗞️ Qui dit nouveau mois, dit nouveau cycle pour La Revue de la Cité ! Parlons donc de GASTRONOMIE.
Nous avons exploré le passé, le présent, maintenant c’est le tour du futur : comment est-ce que les scénaristes de science-fiction imaginent la nourriture de demain ?
🎭 S’il y a en a une qui a bien géré ses fantômes c’est Margaux Revollet. Elle a été Trahie, Trompée, Quittée, et elle en a fait un spectacle très drôle, T.T.Q., qui se joue à la Comédie des Trois Bornes à Paris tous les jeudis soirs. Elle a tout ce qui ne s’apprend pas, le charisme, la gouaille et - l’humour.
🎙️ Encore une fois, on fait confiance à la sélection de podcasts de
pour rentrer dans la tête de votre personnage de flic.🕰 En ce jour il y a 107 ans, le 27 janvier 1918, sortait au cinéma le tout premier Tarzan, création de Edgar Rice Burrough. Qui, fun fact, a travaillé jusqu’à 35 ans comme vendeur de taille-crayons et était convaincu qu'il échouerait dans tout ce qu'il entreprenait. Moralité : toute pointe bien taillée à qui sait attendre.
💬 La citation de la semaine :
“Si vous y pensez encore, cela vaut la peine de prendre le risque.” - Paulo Coelho
Remise en lumière de la semaine
Dans le prochain tchik tchak…
À la semaine prochaine !
Pauline
Tu viens d’ouvrir une nouvelle porte dans mon cerveau. Si ce que j’écris comme un exorcisme était finalement de la matière sans être un brouillon. Des germes d’histoires.
Ça me fait revoir mes tracas de manière plus positive et c’est déjà un bon point pour ce samedi matin 🙏
Je dois dire que transformer « mon père » en « l’homme à la salopette » est une bien bonne idée pour mettre un peu de distance entre un sujet hautement épidermique et l’écriture. C’est génial.
Je crois que je n’ose pas encore assez dans mes romans. Je ne vais pas assez loin dans l’exploration de mes fantômes, c’est quelque chose que je sens, comme si je n’étais pas capable de me jeter dans le grand bain.
Merci pour la méthode de plongeon progressif ;)
Et merci pour ta recommandation Pauline ☺️🙏