Ce réflexe mental qui flingue créativité & joie de vivre
# 77 - ... ou pourquoi on se compare tous dans ce métier (et comment s'en préserver)
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 77 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
En un coup d’oeil :
Pourquoi
Mais
Ceci étant dit
La boîte à inspirations et recommandations
Aujourd’hui je voulais qu’on parle d’un sujet épineux dans nos métiers créatifs : la COMPARAISON.
Je me suis comparée, j’ai ressenti de la jalousie & ça n’a jamais été agréable. J’ai été l’objet de comparaison, j’ai suscité de la jalousie & ça n’a jamais été agréable quand ça m’est revenu aux oreilles.
Alors quid, pourquoi, qu’est-ce donc, sommes-nous toutes et tous scénaristes des êtres envieux par nature ? Ou est-ce un symptôme d’un mal plus profond : la précarité & l’invisibilité permanentes ?
Je mène l’enquête, et je vais peut-être dire tout et son contraire sur ce sujet, car comme tout le monde, je fais comme je peux pour essayer de gérer le truc 👇🏻
Pourquoi c’est normal
J’aime revenir au grand tout des choses pour comprendre nos travers. On a beau s’imaginer unique (tout le monde vit sa première vie après tout), on n’est qu’un grand tas de composants chimiques, et toute réaction doit pouvoir s’expliquer neuro-scientifiquement.
Déjà, d’un point de vue évolutionniste, la comparaison sociale est un réflexe naturel qui nous aide à nous situer dans un groupe et à évoluer. C’est, entre autres, ce qui nous a permis de survivre et de nous adapter.
Donc je dirais que tout n’est pas à jeter dans la comparaison. Nous sommes potentiellement le fruit de réflexes de comparaisons vertueux, merci chers aïeux de vous être comparés à ce gars qui partait titiller le mammouth en fanfaronnant, et de vous être dit : « perso j’aurais pas fait ça comme ça ».
Cependant, en plus de ce câblage humain naturel et préhistorique, il se trouve que nous, scénaristes, évoluons dans un milieu professionnel spécialement pro-comparaison.
La structure même de notre profession est digne des plus grands concours de beauté :
Beaucoup de personnes tentent mais il y a peu d’élus, peu remplissent la fameuse ligne 1GF1 lors de leur déclaration des impôts.
On fait face constamment à un jury qui critique notre travail sur des critères qui nous échappent (vous aurez reconnu les prods, diffuseurs, commissions, etc).
La reconnaissance (financière ou symbolique) n’arrive pas pendant qu’on bosse, mais uniquement si quelqu’un d’autre (possédant le capital) valide l’existence de notre travail.
On nous fait comprendre tôt qu’on est remplaçable.
(petite histoire : j’ai participé à une room d’écriture pour une série, et le premier jour de cette room le “créateur” de la série nous a tous dit “de toute manière vous êtes tous remplaçables, sauf moi, haha”. Quatre mois après, il a été viré par la prod de sa propre série donc, pour des gros cas de harcèlements dans cette même room. HA.HA.)L’industrie s’est construite autour de la remise de prix - et je ne parle même pas des César, Palme, etc, mais même en temps que scénariste la saison est émaillée d’appels à projets pour avoir un prix/une bourse/une aide et espérer être repéré2.
Bref, dans cet entonnoir où on espère toutes et tous passer de l’autre côté, pas étonnant que la comparaison soit un réflexe doublement naturel. Pourquoi elle et pas moi ? Le mérite-t-elle plus que moi ? Pourquoi elle a de la chance et pas moi ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Et pourquoi tant de questions sans fin ?
Parce que les critères de tri de cet entonnoir géant ne repose pas (que) sur les qualités “objectives” du projet.
Des projets objectivement bons ne trouvent jamais de diffuseurs. Des projets objectivement nuls terminent sur vos écrans.
Et les critères permettant de savoir si votre projet passera cette sélection sont mouvants, impalpables, évanescents. Croyez-moi, le mystère du triangle des Bermudes c’est une charade de maternelle à côté. Du coup, quand quelqu’un ressort du bec de l’entonnoir, on essaye forcément de décortiquer ce qui lui a permis de réussir, de trouver une recette à laquelle se rattacher - et on se compare.
Pourquoi c’est délétère
La comparaison est donc un monstre à deux têtes qui n’a que deux formules à nous proposer :
“Je me compare à celles et ceux qui sont de l’autre côté”…. (qu’importe la définition de cet “autre côté” pour vous, que ce soit la stabilité financière, la participation à une série conventionnée chez HBO, Netflix, Teva, une remise de prix, le fait d’être tout le temps appelé en co-écriture, etc)
…. et soit ça se retourne contre vous, soit ça se retourne contre cette pauvre personne qui n’a rien demandé.
Comme disait Theodore Roosevelt “Comparison is the thief of joy”. Ce que Raymond Poulidor a traduit par “se comparer aux autres nous vole notre bonheur, et après tout, je serai toujours le premier Éternel second, est-ce vraiment si mal”3.
Et c’est vrai que la comparaison c’est vraiment un poison. D’ailleurs, si les animaux sont aussi insouciants comparés à nous, c’est que même s’ils se comparent pas entre eux, ça ne les envoie pas dans un abîme de doutes existentiels.
(+ le fait de ne pas devoir payer de loyer) (+ le fait de ne pas avoir à parler à l’Urssaf Limousin).
D’ailleurs, c’est pas un hasard s’il y a le mot “poison” dans “comparaison” (ainsi que le mot “noir”, “sarcasm”, “prison” et “casino”, tout un programme)(et ne vous fiez pas au fait qu’il y ait le mot “raison”, c’est un piège).
MAIS
Là c’est le moment du numéro où je pourrais conclure et dire : “Ecoutez bien mes p’tits potes la solution est simple : arrêtez de vous comparer, concentrez-vous sur vous-mêmes et vous ne souffrirez plus”.
Mais déjà 1) ce n’est pas assez concret pour un tchik tchak et 2) c’est surtout une injonction impossible à entendre quand on a l’impression de ne pas y arriver, de ne pas réussir à mettre le pied dans la porte malgré le fait de faire “comme les autres”.
On est dans cette quête perpétuelle d’essayer de comprendre les critères de tri de cet entonnoir. Et la panique et le doute exacerbent notre besoin de nous raccrocher à ce qu’on voit autour de nous, de nous positionner face à nos difficultés, et donc de nous comparer.
Cette injonction à “ne pas se comparer” peut également vite devenir une forme de “gaslighting” bienveillant, où on demande aux scénaristes de ne pas souffrir… dans un système qui les pousse à souffrir (je vous renvoie vers cette fameuse étude de Maxime Besenval sur les conditions de travail des scénaristes).
C’est une manière de dépolitiser la souffrance structurelle en la ramenant à un simple problème de mindset individuel.
Car si on cherche tant à être “de l’autre côté”, et donc si on se compare si méchamment à celles et ceux qui y sont, ce n’est pas pour se gargariser de faire partie de la cour du prince et satisfaire notre ego…..
…. c’est juste pour être payé, pour pouvoir continuer à bosser et pour exister professionnellement dans un métier qui ne te reconnaît que quand d’autres l’ont décidé.
CECI ÉTANT DIT…
…. il faut trouver des moyens de se préserver de ce monstre de comparaison à deux têtes. Car encore une fois, se ruer vers la comparaison, c’est aussi automatique pour notre cerveau qu’un enfant qui va trifouiller son nez quand ça l’encombre. Nous, en grandissant, on a appris à réfréner cet automatisme de doigt dans le nez, peut-être qu’on peut faire pareil avec la comparaison.
Voici des trucs que j’utilise :
(je ne suis pas psy et il y a sûrement plein de cas où cet automatisme de comparaison ne peut pas être traité aussi superficiellement que ce que je vais proposer ci-dessous)
Si votre déclencheur “je me compare” va vers “je suis une merde”
Se mettre au clair avec sa propre définition du “succès” : à quoi veux-tu que ressemble ta journée idéale dans 2/5/10 ans et surtout pourquoi ?
Le sentiment de “je suis une merde” peut être le symptôme d’un sentiment de désalignement entre la vie qu’on veut avoir vs la vie qu’on a. Vous me connaissez, j’aime les listes, donc quand je ressens ce sentiment hop, je me projette dans mon futur idéal, je liste à quoi ressemblerait une journée idéale et je décortique toutes les étapes qui me permettraient d’y arriver.
Pour faire ce petit travail d’introspection, on peut utiliser la technique des 5 Pourquoi qu’on avait vu dans le numéro sur “Comment écrire des personnages profonds et complexes” (nous sommes des personnages profonds et complexes). Au bout de 3, 4, 5 itérations de “Pourquoi ? Ok mais pourquoi ? Et pourquoi ça ?”, il est fort probable que vous arriviez à “Parce que je veux raconter des histoires qui me tiennent à coeur”. Et la bonne nouvelle c’est que pour ça, vous n’avez besoin de personne (je parle bien de l’acte de création et non de la partie distribution de ces histoires - pour ça je n’ai pas la réponse magique uhuh 👉🏻👈🏻)Jouer le jeu de la petite voix dépréciative : “ok, tu es une merde et de toute évidence on ne veut pas t’ouvrir la porte. Qu’est-ce que tu veux faire d’autre ?” Si tout de suite une voix dans votre tête part en mode business plan pour créer une application IA pour enfin comprendre ce que pensent nos animaux, suivez cette voie, foncez, pas de regrets. Si au contraire vous ne vous voyez pas faire autre chose que d’écrire… vous êtes au bon endroit.
Avoir une routine d’hygiène mentale anti-comparaison en filtrant ses flux (ne pas regarder les réseaux sociaux le matin, rien de mieux pour se plomber)
Retourner le bouzin : voir ce scénariste de l’autre côté de l’entonnoir qui a tous les “succès” dont vous rêvez, et se dire “punaise, moi aussi je vais y arriver”, et transformer ce sentiment comparaison en moteur (e que s'apelerio “l’esprit de compétition”) (après si naturellement vous allez vers “je suis une merde”, vous n’avez peut-être pas l’esprit de compétition le plus vaillant de la terre, encore une fois je ne suis pas psy, je ne sais pas)
Si votre déclencheur “je me compare” va vers “cette personne est une merde”
Travailler son empathie positive : quoi de plus fort pour contrer une voix qu’une autre voix ? Qui parle plus fort ? Donc, dès qu’on entend cette petite voix, on lui coupe la chique en se disant “franchement, c’est cool pour lui/elle, ça donne espoir, elle/il doit sûrement le mériter, Jaya ho4 à toi collègue”
Se dire que pour le positif qu’on voit et qu’on envie, il y a sûrement du négatif qu’on ne voudrait pas approcher : pour ce “succès” il y a peut-être eu du harcèlement, un travail éprouvant, 48 versions, bref on sait pas, c’est le principe de l’iceberg.
Traiter la comparaison comme un signal ; plutôt que de la subir et de faire des gnagnagna toxiques sur un autre être humain, analyser ce qu’il y a en filigrane derrière cette jalousie :
→ Est-ce que je regrette d’avoir mis ce projet de côté ?
→ Est-ce que j’ai envie d’écrire plus vite ?
→ Est-ce que ça touche à un manque de reconnaissance ?Un peu de maïeutique et hop, on voit ce que ce signal me révèle en fait / ce que je peux en faire / ce que je jette.
Si vous avez d’autres astuces qui vous aident, partagez en commentaires, ça pourra aider.
Pour moi ce qui marche : dès que j’entends les voix de la comparaison je me crie dessus “STOP STOP, LA COMPARAISON EST LE POISON DE L’ÂME ET NE SERT À RIEN, JE NE TOMBERAI PAS DANS VOTRE PIÈGE, FILLES DE SATAN”.
Je gagne en espace mental, en espace vital et ça va mieux.
✌🏻
🚨 Il reste quelques places pour les prochains ateliers d’écriture de ce premier cycle !
dimanche prochain 29 juin on donne un vrai arc de transformation à son personnage (on travaille en profondeur la psychologie de votre personnage et vous repartez avec des balises précises pour le faire évoluer au fil de votre histoire)
dimanche 6 juillet on remet son histoire à l’endroit (si vous avez plein d’éléments par ci par là mais que vous avez besoin d’une baguette magique pour mettre de l’ordre, cet atelier c’est un peu comme un gros ménage de printemps, ma passion)
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
🥳 L’association de scénaristes Séquences 7 m’a remis le Schmuck 2025 !
Ce prix récompense une personne ou une structure qui par son action favorise la promotion, le soutien et la valorisation de la profession de scénariste.
Je suis donc super fière d’avoir été récompensée cette année 🥹
🕰 En ce jour, le 21 juin c’est la fête de la musique, aka la fête où on compare sans vergogne les talents de groupes éparpillés dans votre quartier.
💬 La citation de la semaine :
“Se comparer aux autres, c’est courir après une ombre qui n’est pas la sienne.” - Pierre Dac
Pour aller plus loin
Dans le prochain tchik tchak…
… on fera un battle entre personnage introverti vs personnage extraverti.
À la semaine prochaine !
Pauline
La ligne où on déclare ses droits d’auteurs. Autrement dit la preuve ultime que l’on contribue à l’état français grâce à nos écrits, et que donc on vit de ses histoires.
C’est d’ailleurs de cette manière que j’ai commencé ma carrière de scénariste.
Pour celles et ceux qui n’ont pas la réf : Raymond Poulidor était un cycliste de ma région très connu dans les années 60 car le gars n’a jamais fini premier au Tour de France (3 fois deuxième et 5 fois troisième). Se comparait-il aux premiers ? Sûrement. Est-ce qu’il a fini malheureux pour autant ? Je ne crois pas.
ça veut dire “félicitations” en ardhamāgadhī, la langue de Bouddha
“Comparison kills love” me dit souvent un ami et je trouve que c’est un des pires effets de ce mécanisme.
Vous êtes là tranquille à apprécier une après midi dans un parc londonien. Il fait beau, on est en bonne santé et le camion du marchand de glaces vient d’arriver, mais non, ça ne suffit pas.
L’instant d’après , paf : « oui mais si j’avais la même vie que Machin ou truc, je pourrais avoir bien plus que ça et si ce se trouve je pourrais même acheter le camion et manger toutes les glaces, ah oui mais non parce que je deviendrais obèse et déjà que je devrais faire attention parce que j’ai 5 kg de trop par rapport à Jennifer Lopez qui elle a 4 ans de plus que moi et qui a l’air d’en avoir dix de moins ça ne marche pas non plus. Bon ben du coup laisse tomber la glace et le parc je vais plutôt aller à la salle de gym même si j’ai envie de m’ouvrir les veines à cette idée ».
Une bien belle après midi de foutue, alors que j’aurais pu m’empiffrer de glaces tranquille les pieds dans l’herbe.
Toujours sympa la comparaison 🫣🤣
Tu sais dans quel direction je suis.
Et pour tenter de palier à cela, j'ai mis de côté l'histoire qui ne me parlait plus trop pour me reconcentrer sur une autre qui me faire rire.
Je prends plaisir à écrire ces gags et ces blagues.
Retrouver le plaisir, de raconter des belles histoires certes, mais pour moi, de raconter des histoires tout court.
Rigolote, tragique que sais-je celle qui me plait d'abord et pour laquelle je pleure parce que mon perso pleure, rit parce que mon perso est con.
Pour cela j'ai relu quelques passages de l'autobiographie de Luc Besson "Enfant Terrible" (Mettre de côté les problèmes juridiques actuel) car il y a toute une partie où il aborde ses débuts et sa vision du cinéma, notamment basé sur le divertissement.
Ainsi je me suis dit : "Mon coco, divertie toi toi-même, parce que c'est ça que tu veux, d'abord. Passer un bon moment à lire l'histoire, donc à l'écrire aussi."
Et pour clôturer ce Romantaire, Kikesa à dit :
"Tu peux pas te tromper quand tu crées."