Voilà pourquoi vos fins sont ratées
# 58 - ... avec les trois erreurs les plus courantes et leurs solutions
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 58 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui sont curieux et qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
En un coup d’oeil :
Problème 1 : une fin sans cohérence et sans progression
Problème 2 : une fin sans impact émotionnel
Problème 3 : une fin clichée ou trop facile
La boîte à inspirations et recommandations
Comme ce numéro va parler des fins, pas d’intro, je fonce.
On va voir ensemble les trois plus gros problèmes qui ruinent la fin de vos histoires :
Un problème de CLARTÉ : une fin floue ou incohérente (le cerveau n’est pas satisfait)
Un problème d’ÉMOTION : une fin plate ou surchargée (le coeur n’est pas satisfait)
Un problème d’ORIGINALITÉ : une fin prévisible ou artificielle (le cerveau et le coeur ne sont pas satisfaits)
Problème 1 : une fin floue ou incohérente
Le premier gros problème est de ne pas répondre à la question dramatique qui a enclenché et porté l’histoire jusque-là. Le contrat est rompu et il y a de quoi être en colère.
Nous avions parlé de ce qu’était la question dramatique dans ce numéro :
La fin doit apporter une réponse à cette question dramatique en résolvant l’intrigue principale :
Une réponse explicite (fin bouclée) :
Frodon réussira-t-il à détruire l'Anneau et à sauver la Terre du Milieu des forces de Sauron ? Réponse : oui.
Rose et Jack parviendront-ils à vivre leur amour malgré les différences sociales et la tragédie imminente ? Réponse : non.
Une réponse implicite (fin ouverte avec une direction claire)
Dans Inception, Cobb réussira-t-il à accomplir sa mission et à retrouver ses enfants dans la réalité ? Réponse : oui, Cobb accomplit la mission, mais la fin laisse planer le doute sur le fait qu'il soit dans la réalité ou encore dans un rêve. Une piste claire est donnée : Cobb trouve une forme de paix, même si tout n’est pas 100% certain, et après tout, tant qu’il est heureux, est-ce bien grave ?
Une réponse élargie (fin ouverte qui complexifie la question)
Dans The Leftovers, où sont passées les personnes disparues ? Réponse : on ne sait pas + j’ai le cerveau retourné. La réflexion s’élargit bien au-delà de simplement résoudre ce mystère, mais plutôt à réfléchir au deuil et à la foi.
Pour les fans de fins ouvertes élargies, je me permets un petit warning.
Quand c’est bien fait, c’est incroyable, car ça pète le cerveau et ça change la perspective d’une vie. Ou, pour le dire de manière plus jolie, une fin ouverte bien construite permet d’explorer et de nourrir les idées et thèmes de l’histoire bien après la fin de l’histoire.
CEPENDANT. Quand c’est mal fait… c’est la CATA. Le contrat est rompu, et en plus vous laissez votre public sur une dernière note confuse, voire même incompréhensible, et rien de pire qu’un homo sapiens confronté à ses limites intellectuelles.
Trois conseils rapides pour réussir une fin ouverte :
une fin ouverte fonctionne uniquement si elle élargit la question dramatique posée tout au long du récit, en introduisant des couches supplémentaires ou en laissant l'interprétation au public.
elle doit être liée au thème principal et enrichir le propos, pas créer de nouvelles énigmes de dernière minute.
même si le mystère persiste, le spectateur ou le lecteur doit ressentir une émotion forte qui aide à transformer l'incertitude narrative en profondeur quasi mystique.
Et justement, passons au deuxième problème récurrent 👇🏻
Problème 2 : une fin sans impact émotionnel
Rien de pire que quelqu’un qui referme votre livre ou finit votre film, se dit “Mouais” et l’a littéralement oublié cinq minutes après. On y a bossé des MOIS, voire des ANNÉES quand même. Et, qu’on le veuille ou non, écrire des histoires c’est être dans le business des émotions.
Nous, on veut que cette fin reste en tête, d’une manière ou d’une autre.
Pour cela, on va prendre le problème à l’envers & réfléchir par le biais des émotions.
Quelles émotions veut-on susciter chez notre public ?
un sentiment de catharsis ? (Le Retour du Roi, Gladiator)
un sentiment d’ambiguïté ? (Inception, Lost in Translation, Le Procès)
un satisfaction douce-amère ? (La La Land, Forrest Gump)
de l’émerveillement ? (Interstellar, L’Alchimiste)
de l’étonnement ? (Sixième Sens, Rebecca, Fight Club)
une frustration volontaire ? (American Psycho, Anatomie d’une chute)
Il y a 3 questions à se poser pour être certain·e que les émotions choisies soient bien présentes et incarnées dans la séquence finale :
La notion de contraste émotionnel peut paraître contre-intuitive mais tout d’abord, vous savez que j’adore les contradictions. Ensuite, rajouter du contraste permet :
d’amplifier l’émotion dominante par opposition
de rendre la fin plus mémorable car on sollicite plusieurs réponses émotionnelles chez le public
de réfléchir à la complexité humaine en regardant l’horizon et en se grattant le bout du menton
Quelques exemples : dans La La Land, on est entre la joie et la tristesse. Dans Inception, on est entre l’espoir et la crainte. Dans Les Demoiselles de Rochefort, on est entre le soulagement qu’ils soient enfin dans le même espace mais la crainte que ces nigauds ne se reconnaissent pas.
Pour travailler ce contraste, voici comment faire :
Identifier l’émotion dominante ;
Ajouter le contrepoint (qu’il enrichisse ou contredise subtilement l’émotion dominante) ;
Intégrer ce contraste dans un détail, que ce soit un dialogue (qui exprime un regret ou un espoir, par exemple), un geste (qui suggère une émotion sous-jacente) ou un symbole (qui suggère une ambivalence).
Problème 3 : une fin clichée ou trop facile
On termine en beauté avec les fins clichées et les fins dites du “Dieu qui sort de la machine”.
(C’était comme ça qu’à l’époque de la Grèce antique les dramaturges s’en sortaient au théâtre lorsqu’ils n’avaient plus d’idées : hop, on fait descendre un dieu sur scène par un système de poulie, et le dieu résout l’histoire)
Maintenant, on parle plutôt de Deus Ex Machina quand des éléments ou des personnages résolvent soudainement tous les conflits, sans préparation, d’un bon gros coup de baguette de magique de scénariste qui n’a plus d’idées.
Pour combattre les clichés et les Deus Ex Machina, on va le faire en 3 étapes.
étape 1 : lister les attentes classiques
Connaissons notre ennemi et comprenons ce que le public attend naturellement des fins d’histoire de votre genre :
Quels sont les dénouements typiques dans ton genre ? Qu’attendrait un public "classique" dans mon genre ?
🥱 Le héros triomphe,🥱 le couple se réconcilie, 🥱 le méchant est puni.🥱
(Attention, parfois c’est bien de donner au public ce qu’il connaît et ce qu’il attend. On ne veut pas tout le temps être bousculé, surtout par ces temps politiques tendus, donc une fin classique n’est pas mauvaise en soi) (moi, si c’est bien fait, j’aime bien les fins classiques) (là c’est une proposition pour celleux qui veulent secouer le bananier).
étape 2 : détourner ces attentes classiques
Maintenant c’est parti, on détourne et on subvertit. Quelques questions pour s’aider :
Que se passe-t-il si cela ne se produit pas ?
Comment le spectateur pourrait-il être surpris tout en étant satisfait ?
Quelle action ou décision du personnage pourrait être inattendue mais logique ?
Que se passe-t-il si le personnage échoue, mais apprend quelque chose d’essentiel ?
Pour cela, vous pouvez vous aider des arbres de décision dont nous avions parlés ici.
Prenons La La Land.
La version classique M6 ce serait que Sebastian et Mia réalisent leur rêve ET finissent ensemble.
La version inversée MH (Michael Haneke) c’est qu’ils échouent dans leur carrière ET se séparent. Et qu’ils soient en noir et blanc chacun dans un petit village polonais.
La version subvertie de Damian Chazelle c’est qu’ils réussissent individuellement MAIS que leur amour n’a pas survécu, sans qu’ils ne s’en veulent spécialement, car l’amour équilibré hétéro est-il compatible avec notre monde capitaliste ? Vaste sujet auquel Damian répond NON.
étape 3 : surprendre sans frustrer
Surprendre c’est bien, frustrer c’est mal. Et la frontière est fine entre les deux. Du coup, il y a quelques règles de subversion à respecter :
✅ Ma nouvelle proposition doit s’appuyer sur les bases posées : le public doit pouvoir remonter le fil de l’histoire et comprendre pourquoi la fin est logique dans mon univers narratif - sinon c’est le Deus qui tombe sur scène.
✅ Ma nouvelle proposition doit renforcer le thème principal : le détournement doit enrichir le message ou les émotions.
Par exemple, dans No Country for Old Men, le conflit principal n’est pas résolu, ce qui pourrait paraître comme un scénariste à manque d’idées… Mais le fait que la justice ne soit jamais rendue renforce le thème central du film, donc ça passe, bravo les frères Cohen, l’Oscar est validé.
✅ Ma nouvelle proposition doit créer une nouvelle satisfaction : le public doit être surpris, mais convaincu que cette fin est meilleure que celle attendue (variable difficile à maîtriser, donc l’essentiel c’est que vous, vous pensiez que ce soit une meilleure fin).
✌🏼
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
📖 Le dernier numéro de
sur les livres interdits dans le monde en 2025. Julia se prête à un exercice bien flippant du “Quels livres seraient censurés si la France devenait fascistes ?” et ça donne une chouette liste de recommandations, donc ça fait peur mais ça donne de l’espoir aussi. Une belle fin.🕰 En ce jour il y a 235 ans, le 1er février 1790, la Cour suprême des États-Unis tient sa première séance à New York…. Avant de la repousser au lendemain, car il manquait certains juges et aucun dossier n’était prêt à être traité. Un début pépère des pépères fondateurs.
💬 La citation de la semaine :
“On peut inventer plein de choses mais on ne peut pas raconter n’importe quoi.” - Sandrine Collette
Remise en lumière de la semaine
Dans le prochain tchik tchak…
Explication (car le nombre de caractères est limité dans le sondage) :
💡Comment trouver 10 angles différents d’histoire d’un même concept
🌪️ Comment garder de l'énergie (et de l'endurance) sur un projet quand nos cerveaux nous poussent sans cesse vers de nouvelles idées ?1
À la semaine prochaine !
Pauline
Oui Pierre, j’ai exactement repris ta formulation 🫶🏻
Et la fin de Lost on en parle ? 😂
Merci beaucoup pour ces conseils, très utiles comme toujours.
La version Haeneke de La La Land m’a beaucoup fait rire.
J’adore toujours te voir décortiquer les films. Je viendrai avec plaisir à une analyse en live (ou en zoom) de tout un film. Merci pour cette NL.