Gérer la critique
# 15 - ... et comment l'approche du détective vous permet de garder la tête froide
Hello 👋🏼
Bienvenue dans ce numéro 15 de tchik tchak !
Pour rappel, tchik tchak c’est la newsletter sur l’écriture avec des solutions & des idées. Elle s’adresse à tous ceux qui veulent écrire, professionnellement ou non, que ce soit des histoires ou des scénarios.
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En un coup d’oeil :
Gérer la critique, une compétence comme une autre
L’approche du détective
La boîte à inspiration avec un tournesol sujet de discorde et des Penn sardines
Après avoir affronté la page blanche, passé votre idée au crible, navigué avec brio les quatre étapes du processus créatif, arrive le moment crucial de présenter votre création au monde - et d’entendre ce qu’il en pense.
Si savoir faire des retours constructifs est une compétence certaine, il en est de même de la réception de ces retours - une compétence à développer tout aussi nécessaire que celles des autres étapes du processus créatif.
Cette nécessité s'accentue particulièrement pour les scénaristes, dont le travail est constamment soumis à la discussion, la modification et l'influence de toutes celles et ceux qui croisent la route de votre scénario : chargé·e de développement, lecteur·ice, producteur·ice, diffuseur, monteur, acteur·ice, etc. Chacun y va de son commentaire avec ses propres sensibilités et projections.
L’objet “scénario” est donc par essence une matière malléable, et tant que votre histoire n’est pas partie en salle de montage, rien n’est figé dans le marbre.
Au fil des années j’ai trouvé une solution pour tirer le maximum de ces retours tout en me préservant de toutes ces montagnes russes :
J’envisage mon histoire comme une énigme à résoudre pas à pas, étape après étape, et j’ajuste mon regard en fonction de l’étape à laquelle je suis.
Pour cette étape cruciale de retour de texte, je vous propose de sortir votre plus beau chapeau et de vous mettre dans la peau du détective.
L’approche du détective
Le plus grand avantage de cette approche est qu’elle vous met directement dans une perspective de tierce partie, vous permettant ainsi de prendre du recul et d’éviter d'être trop affecté émotionnellement par ce qui pourrait être dit (et par la manière dont ça pourrait être dit).
Les trois commandements de tout bon détective pourrait se résumer à 1) se laisser du temps de réflexion, 2) faire le tri parmi les informations récupérées et 3) lire entre les lignes.
⌛️ Se laisser du temps de réflexion
Le premier conseil préalable est de ne pas envoyer votre projet en lecture dès que vous avez atteint votre palier d’écriture. Laissez passer une semaine avant de le montrer, comme ça vous avez aussi commencé à prendre du recul.
Ensuite, règle d’or absolue, ne répondez jamais à chaud. Vous pouvez absolument poser des questions pour obtenir des éclaircissements ou échanger des idées, mais résistez à l'envie de contre-argumenter une note qui vous remue.
Ce moment du retour est l’occasion unique de voir l’impact qu’a eu votre projet sur un cerveau vierge ; posez des questions, soyez curieux, mais ne rentrez pas dans un débat - pas d’inquiétude, vous ne serez pas obligé d’appliquer les retours qui ne vous parlent pas. Laissez le temps à votre cerveau d’infuser et de trier ce qui lui semble pertinent ou non.
Enfin, préparez-vous à recevoir beaucoup d’informations. Restez ouverts à tout ce que vous allez entendre et prenez vous-mêmes vos notes. Même si le feedback est fourni par écrit, le fait de prendre des notes avec vos propres mots vous aidera à retenir ce qui est pertinent pour vous.
Vous êtes prêt·e pour la phase suivante 👇🏼
🗂 Faire le tri parmi les informations récupérées
Vous êtes le détective en chef, vous avez la main sur l’enquête, et même si des sergents plus ou moins bons vont vous dire qu’ils ont tout compris ou qu’ils trouvent que ça ne se passe pas comme prévu, qu’ils feraient les choses autrement, seul·e VOUS avez les moyens de la faire avancer.
La grande question c’est donc comment décider quels retours garder, approfondir et examiner, et quels retours écarter d'emblée ? Sur quelles idées rester têtu·e et quelles idées abandonner ?
La réceptivité du lecteur est bien plus grande que l’intention de l’auteur.
Quand on lit, on projette immédiatement nos propres images et envies sur les mots écrits - et c’est bien normal. En lisant une scène personne ne voit la même chose, et les retours peuvent parfois refléter des idées et sensibilités personnelles plutôt que le contenu réel de l'histoire.
C’est pourquoi il est important de ne pas se perdre dans la vision du lecteur et de garder en boussole ultime l’histoire que vous voulez raconter.
Votre Nord est de vous demander quelles sont les notes qui vous aident à vous rapprocher de l’histoire que vous voulez raconter.
Un bon retour a pour but de permettre à votre projet de mieux réaliser sa vision. Il ne s'agit pas de modeler votre scénario en fonction des attentes de quelqu'un d'autre.
PS : La seule exception est quand le retour vient d’une personne activement impliquée dans votre projet, par exemple un producteur ou un responsable du développement. Dans ce cas, vous devez trouver un équilibre entre la protection de votre vision créative et les compromis nécessaires pour faire avancer le projet.
Trois conseils pratiques :
Listez toutes les notes que vous avez récupérées et classez les par catégories : Concept, Personnages, Scènes, Points Dramatiques (fin d’actes, midpoint, etc).
Si les notes sont floues, essayez de voir si elles essayent d’exprimer plutôt un problème de personnages ou de structure, etc.
Hiérarchisez. Pour cela prenez trois surligneurs : un pour les notes pour lesquelles nous n’êtes pas du tout d’accord (= elles ne vous permettent pas de vous rapprocher de l’histoire que vous voulez raconter), un pour les notes pour lesquelles vous êtes d’accord (= elles vous permettent de vous rapprocher de l’histoire que vous voulez raconter), et le dernier pour les notes qui demandent plus d’examen.
Repérer s’il y a des schémas répétitifs : si vous avez plusieurs retours qui convergent, même si vous avez l’impression qu’ils vous éloignent de votre vision, il y a sûrement quelque chose à creuser.
Ce qui nous amène au dernier point 👇🏼
🔮 Lire entre les lignes
Pour résoudre votre énigme, vous faites le tour des voisins de palier et chacun vous livre ses impressions de la situation. La grande qualité des détectives n’est pas de prendre au pied de la lettre ce que raconte Régine suite au grand bruit qu’elle a entendu à l’étage du dessus la veille au soir alors qu’elle donnait le mou à son chat, mais de savoir lire entre les lignes, d’entendre le bruit des silences, de voir entre les interstices.
Il en va de même pour les scénaristes-détectives : il faut apprendre à aller chercher la note derrière la note. Bien souvent vos lecteur·ices vont vous proposer des solutions aux problèmes qu’ils soulèvent, ce qui est bien sympathique par ailleurs. Mais il ne faut jamais s’arrêter sur ces solutions. Pourquoi ?
Seul·e vous avez en tête l’architecture interne de votre bâtisse.
Seul·e vous savez exactement quelles sont les implications exactes de ce changement de fenêtres d’apparence anodine.
Sauf si ce sont des professionnels, ils n’ont peut-être pas le vocabulaire et les connaissances précises dramaturgiques.
Ce n’est pas leur rôle d’apporter des solutions, mais de vous pointer du doigt des angles morts de compréhension.
En revanche, même s’il ne faut pas prendre ces solutions comme argent comptant, elles restent très intéressantes car elles mettent en lumière une zone du texte où de toute évidence il y a un problème à résoudre - à votre manière.
Je pourrais rajouter le quatrième pilier du bon détective : ne pas prendre les choses trop à coeur. Une enquête reste une enquête, et un retour sur votre texte ne vous définit pas en tant que personne.
Mais honnêtement je sais à quel point cela peut être décourageant de mettre son coeur et son énergie dans une histoire, et de faire face à un retour pas très enthousiaste, ou même un retour qui déconstruit avec des arguments flous tout ce qu’on a bâti. Et on ne va pas se mentir, même dans la profession, il y a ceux qui savent faire de bons retours et ceux qui ne savent pas faire de bons retours.
Petite histoire rapide : pendant plus de 2 ans et demi j’ai retravaillé mon premier scénario de long-métrage avec ma productrice. À chaque nouvelle version il y avait une nouvelle montagne à franchir, ce qui me semblait interminable. Mais je suis toujours ressortie de ces réunions remplie d’enthousiasme, de confiance et d’énergie, avec un plan d’action clair, malgré les chantiers incessants. Juste parce qu’elle savait faire de bons retours.
Donc si, prenez les choses à coeur, mais entourez-vous le plus possible de personnes qui les prendront autant à coeur que vous et qui sauront vous tirer vers le haut.
✌🏼
Cette semaine dans la boîte à inspirations et recommandations, nous avons :
😯 Le Kirghizistan va modifier son drapeau car ils en ont marre qu’il représente (vaguement) un tournesol, fleur qui symbolise pour eux “l’inconstance et la servilité”.
"L'opinion selon laquelle notre drapeau ressemble à un tournesol est largement répandue dans notre société, et c'est l'une des raisons pour lesquelles le pays n'arrive pas à se relever", a déclaré le président Japarov.
Comme quoi, il y a toujours moyen de trouver du budget (et un prétexte).
📚 Une belle grève de femmes d’Anne Crignon aux éditions Libertalia, qui retrace l’histoire des sardinières de Douarnenez, les Penn sardines, qui menèrent une grève victorieuse contre les usiniers en 1924 (si vous préférez écouter cette histoire en vous baladant, Affaires Sensibles y a consacré un épisode).
🕰 en ce jour il y a 29 ans, le 3 février 1995, l'astronaute Eileen Collins devient la première femme à piloter une navette spatiale.
C’est également le jour national de ceux qui aiment manger de la glace au petit-déjeuner aux Etats-Unis (pour moi c’est comme le beurre demi-sel, c’est non merci).
💬 la citation de la semaine :
“Ne laisse personne prendre ton soleil." - Ugo Savary
Dans le prochain tchik tchak…
… on parlera de comment mettre de l’ordre dans ses idées et ses projets.
Et pour rattraper les anciens numéros c’est 👉🏻 par ici 👈🏻
À la semaine prochaine !
Pauline
Coucou Pauline. Encore très intéressant et de très bons conseils. Nul doute que ça aide beaucoup celleux qui sont en plein projet d'écriture. Et le service "déblocage", c'est un plus !
Les Penn Sardines, c'est contagieux : dans Gendercover, Tchik Tchak... 🤣.
Une histoire qui m'émeut beaucoup. J'écoute régulièrement leur chant sur YouTube (il y a différents interprètes) et ça me chamboule toujours. Merci pour le lien "Affaires sensibles", bonne idée pour faire connaître leur histoire. Douarnenez fêtera le centenaire cette année 🥳✊.
Bisous
Très belle approche de la prise en compte des critiques et surtout de leur tri